Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Problème à l’imitation des Espagnols
PROBLÈME À L’IMITATION DES ESPAGNOLS.
1À Mademoiselle de Quéroualle .
(1671.)
Je ne sais ce qui nuit le plus au bonheur de la vie des femmes, ou de s’abandonner
à tous les mouvements de la passion, ou de suivre tous les sentiments de la vertu :
je ne sais si leur abandonnement est suivi de plus de maux, que la contrainte ne leur
ôte de plaisirs. J’ai vu des voluptueuses au désespoir du mépris où elles étoient
tombées ; j’ai vu des prudes soupirer de leur vertu. Leur cœur, gêné de leur
sagesse, cherchoit à se soulager, par des soupirs, du secret tourment de n’oser
aimer. Enfin, j’ai vu les unes pousser des regrets vers l’estime qu’elles avoient
perdue ; j’ai vu les autres pousser des désirs, vers les voluptés qu’elles n’osoient
prendre. Heureuse qui peut se conduire discrètement, sans gêner ses inclinations !
Car, s’il y a de la honte à aimer sans retenue, il y a bien de la peine à passer la vie
sans amour.
Pour éviter ce dernier malheur, Mademoiselle, il sera bon que vous suiviez un avis
que je veux vous donner, sans intérêt. Ne rebutez pas trop sévèrement les
tentations, en ce pays-ci ; elles y sont modestes, elles ont plus de pudeur à s’offrir,
que n’en doit avoir une honnête fille à les écouter. Peut-être êtes-vous assez vaine
pour ne vous contenter que de vous-même ; mais vous vous lasserez bientôt d’être
seule à vous plaire et à vous aimer ; et, quelque complaisance que fournisse
l’amour ...
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