Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Portrait de Mme la duchesse Mazarin
PORTRAIT DE MADAME LA DUCHESSE MAZARIN.
(1677.)
On m’accuse à tort d’avoir trop de complaisance pour Mme Mazarin : il n’y a
personne dont Madame Mazarin ait plus à se plaindre que de moi. Depuis six mois,
je cherche malicieusement en elle quelque chose qui déplaise ; et malgré moi, je
n’y trouve rien que de trop aimable, que de trop charmant. Une curiosité chagrine
me fait examiner chaque trait de son visage, à dessein d’y rencontrer ou de
l’irrégularité qui me choque, ou du désagrément qui me dégoûte. Que je réussis
mal dans mon dessein ! Tous ses traits ont une beauté particulière, qui ne cède en
rien à celle des yeux ; et ses yeux, du consentement de tout le monde, sont les plus
beaux de l’univers.
Voici une chose dont je ne me console point. Ses dents, ses lèvres, sa bouche et
toutes les grâces qui l’environnent, se trouvent assez confondues parmi les grandes
et les diverses beautés de son visage : mais, si on les compare à ces belles
bouches qui font le charme des personnes qu’on admire le plus, elles défont tout,
elles effacent tout : ce qui est peu distingué en elle, ne laisse pas considérer ce qu’il
y a de plus remarquable dans les autres. La malice de ma curiosité ne s’arrête pas
là. Je vais chercher quelque défaut, en sa taille, et je trouve je ne sais quelle grâce
de la nature, répandue si heureusement en toute sa personne, que la bonne grâce
des autres ne me paroît plus que contrainte ...
Voir