Alfred de Musset
Sur la paresse
Revue des Deux Mondes, Période initiale, 4eme série, tome 29, 1842 (pp. 117-
123).
« Oui, j’écris rarement, et me plais de le faire.
« Non pas que la paresse en moi soit ordinaire,
« Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein,
« Je crois prendre en galère une rame à la main. »
Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte ?
C’est Alfred, direz-vous, ou le diable m’emporte !
Non, ami. Plût à Dieu que j’eusse dit si bien,
Et si net, et si court, pourquoi je ne dis rien !
L’esprit mâle et hautain dont la sobre pensée
Fut dans ces rudes vers librement cadencée
(Otez votre chapeau), c’est Mathurin Regnier,
De l’immortel Molière immortel devancier,
Qui ploya notre langue, et dans sa cire molle
Sut pétrir et dresser la romaine hyperbole ;
Premier maître jadis sous lequel j’écrivis,
Alors que du voisin je prenais les avis,
Et qui me fut montré, dans l’âge où tout s’ignore,
Par de plus fiers que moi qui l’imitent encore ;
Mais la cause était bonne, et, quel qu’en soit l’effet,
Quiconque m’a fait voir cette route, a bien fait.
Or, je me demandais hier dans la solitude
Ce cœur sans peur ; sans gène et sans inquiétude,
Qui vécut et mourut dans un si brave ennui,
S’il se taisait jadis, qu’eût-il fait aujourd’hui ?
Alors à mon esprit se présentaient en hâte
Nos vices, nos travers, et toute cette pâte
Dont il aurait su faire un plat de son métier
A nous désopiler pendant un siècle entier :
D’abord le grand fléau qui nous rend tous malades,
Le ...
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