— Anatole FranceLes Légions de VarusLES LÉGIONS DE VARUS———Auguste regardait pensif couler le Tibre ;Il songeait aux Germains : ce peuple pur et libreL’étonnait ; ces gens-là lui causaient quelque effroi :Ils avaient de grands cœurs et n’avaient pas de roi.César trouvait mauvais qu’ils pussent se permettreD’être fiers, et de vivre insolemment sans maître.Puis le bon César prit pitié de leur erreurAu point de leur vouloir donner un empereur.Il crut d’un bon effet qu’aussi l’aigle romaineSe promenât un peu par la forêt germaine :Il n’est tel que son vol pour éblouir les sots ;Puis, l’or des chefs germains lui viendrait par boisseaux ;On s’ennuyait ; la guerre était utile en somme :On n’avait pas d’un an illuminé dans Rome.Auguste se souvint d’un homme de talent ;Varus s’était montré proconsul excellent :Maigre il était entré dans une place grasse,Et s’en était allé gras d’une maigre place.Donc Varus, que César aimait pour ses travaux,Ayant trois légions, trois ailes de chevaux,Et, pour arrière-garde, ayant quatre cohortes,De l’Empire romain les troupes les plus fortes,Mena ces braves gens à travers les forêts,Le front dans les taillis, les pieds dans les marais.Alors la forêt mère, inviolée et sainte,Etreignit les Romains dans son horrible enceinte,Les fit choir dans des trous, leur déroba les cieux ;Chaque arbre avait des doigts et leur crevait les yeux.Les soldats abattaient ces arbres pleins de haines ;Et les chevaux, oyant gémir l’âme ...
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