Leconte de Lisle — Poèmes tragiques
Les Inquiétudes de Don Simuel
Don Simuel Lévi, trésorier des castilles,
Détient, tous comptes faits, dans les coffres royaux,
Trois mille doubles d’or, avec quelques broutilles :
Écus, chaînes, colliers et de rares joyaux.
Rien ne rentre, le coût ni la taxe régale
Sur les métiers et sur les marchands, ni le prix
Des charges. On dirait, par une entente égale,
Que bons vouloirs autant que bourses sont taris.
Or, les Aragonais et le comte et ses reîtres
Brûlent châteaux et bourgs aux confins castillans ;
Et, pour frais réguliers et pour achat des traîtres,
Trois mille doubles d’or ne sont pas très brillants.
La flotte, inerte, n’a vivres, chiourmes ni rames ;
Hidalgos ni soudards ne chaussent l’étrier ;
Car cette pénurie excite aux sourdes trames
Le riche-homme non moins que l’arbalétrier.
Don Simuel Lévi, certe, est des plus honnêtes
Parmi les argentiers circoncis, mais le roi
Croira malaisément qu’un juif ait les mains nettes
Qui laisse le trésor en un tel désarroi.
Sa méfiance est grande et n’excepte personne ;
Âpre au gain et prodigue, et de plus fort cruel,
Pour qu’il juge et condamne il suffit qu’il soupçonne.
L’esprit perplexe, ainsi songe don Simuel.
Que résoudre ? Avouer que, la caisse étant vide,
Il faut, sans nul retard, enrayer les apprêts
De guerre ? À coup sûr, non ! Il en est tout livide,
Et tremble, se disant : qu’adviendrait-il après ?
Rançonner les couvents, traire les juiveries ?
Du rocher de Tharyq au roc Asturien ...
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