Leconte de Lisle
Les Ascètes
Poèmes barbares, Librairie Alphonse Lemerre, s. d. (1889?) (pp. 300-303).
Les Ascètes
I
Depuis qu’au joug de fer blanche esclave enchaînée,
Hellas avait fini sa belle destinée,
Et qu’un dernier soupir, un souffle harmonieux
Avait mêlé son ombre aux ombres de ses Dieux,
Le César, dévoré d’une soif éternelle,
Tarissait le lait pur de l’antique Cybèle.
Pâle, la main sanglante et le cœur plein d’ennuis,
D’une vague terreur troublant ses longues nuits,
Il écoutait, couché sur la pourpre romaine,
Dans un sombre concert gémir la race humaine ;
Et, tandis que la Louve aux mamelles d’airain
Dormait, le dos ployé sous son pied souverain,
Il affamait, hâtant les jours expiatoires,
Les lions de l’Atlas au fond des vomitoires.
Inépuisable mer, du sommet des sept monts,
Couvrant l’empire entier de ses impurs limons,
Nue, horrible, traînant ses voluptés banales,
La débauche menait les grandes saturnales ;
Car c’était l’heure sombre où le vieil univers,
Ne pouvant oublier son opprobre et ses fers,
Gisait sans Dieu, sans force, et fatigué de vivre,
Comme un lâche qui craint de mourir et s’enivre.
Et c’est alors, plus haut que l’orgie aux bruits sourds,
Qu’on entendit monter l’appel des nouveaux jours,
Cri d’allégresse et cri d’angoisse, voix terrible
D’amour désespéré vers le monde invisible :
II
- Les bruits du siècle ont-ils étouffé votre voix,
Seigneur ? Jusques à quand resterez-vous en croix ?
En vain vous avez bu l’amertume et la lie :
Le monde se ...
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