Victor Hugo — Odes et BalladesLe Sylphe"Toi qu'en ces murs, pareille aux rêveuses sylphides,Ce vitrage éclairé montre à mes yeux avides,Jeune fille, ouvre-moi ! Voici la nuit, j'ai peur,La nuit, qui, peuplant l'air de figures livides,Donne aux âmes des morts des robes de vapeur !"Vierge, je ne suis point de ces pèlerins sagesQui font de longs récits après de longs voyages ;Ni de ces paladins qu'aime et craint la beauté,Dont le cor, éveillant les varlets et les pages,Porte un appel de guerre à l'hospitalité."Je n'ai ni lourd bâton, ni lance redoutée,Point de longs cheveux noirs, point de barbe argentée,Ni d'humble chapelet, ni de glaive vainqueur.Mon souffle, dont une herbe est à peine agitée,N'arrache au cor des preux qu'un murmure moqueur."Je suis l'enfant de l'air, un sylphe, moins qu'un rêve,Fils du printemps qui naît, du matin qui se lève,L'hôte du clair foyer durant les nuits d'hiver,L'esprit que la lumière à la rosée enlève,Diaphane habitant de l'invisible éther."Ce soir un couple heureux, d'une voix solennelle,Parlait tout bas d'amour et de flamme éternelle.J'entendais tout ; près d'eux je m'étais arrêté ;Ils ont dans un baiser pris le bout de mon aile,Et la nuit est venue avant ma liberté."Hélas ! il est trop tard pour renter dans ma rose !Châtelaine, ouvre-moi, car ma demeure est close.Recueille un fils du jour, égaré dans la nuit ;Permets, jusqu'à demain, qu'en ton lit je repose ;Je tiendrai peu de place et ferai peu de bruit ...
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