Le Poète courtisan
Joachim du Bellay
1559
Je ne veulx point icy du maistre d’Alexandre
Touchant l’art poëtiq’ les preceptes t’apprendre :
Tu n’apprendras de moy comment joüer il fault
Les miseres des Roys dessus un eschafault :
Je ne t’enseigne l’art de l’humble comoedie,
Ny du Mëonien la Muse plus hardie :
Bref je ne montre icy d’un vers Horatien
Les vices et vertuz du poëme ancien :
Je ne depeins aussi le Poëte du Vide,
La court est mon autheur, mon exemple et ma guide.
Je te veulx peindre icy, comme un bon artisan,
De toutes ses couleurs l’Apollon Courtisan :
Où la longueur sur tout il convient que je fuye,
Car de tout long ouvraige à la court on s’ennuye.
Celuy donc qui est né (car il se fault tenter
Premier que lon se vienne à la court presenter)
A ce gentil mestier, il faut que de jeunesse
Aux ruses et façons de la court il se dresse.
Ce precepte est commun : car qui veult s’avancer,
A la court, de bonne heure il convient commencer.
Je ne veulx que long temps à l’estude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,
Fueilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires Grecs et les autheurs Latins.
Ces exercices là font l’homme peu habile,
Le rendent catareux, maladif et debile,
Solitaire, facheux, taciturne et songeard,
Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.
Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge,
Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe,
Se brouillant le cerveau de pensements divers,
Pour tirer de sa teste un ...
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