Victor Hugo — Les Rayons et les ombresLe Monde et le Siècle VII Que faites-vous, Seigneur ? à quoi sert votre ouvrage ? À quoi bon l'eau du fleuve et l'éclair de l'orage ? Les prés ? les ruisseaux purs qui lavent le gazon ? Et, sur les coteaux verts dont s'emplit l'horizon, Les immenses troupeaux aux fécondes haleines Que l'aboiement des chiens chasse à travers les plaines ? Pourquoi, dans ce doux mois où l'air semble attiédi, Quand un calice s'ouvre aux souffles de midi, Y plonger, ô Seigneur, l'abeille butinante, Et changer toute fleur en cloche bourdonnante ? Pourquoi le brouillard d'or qui monte des hameaux ? Pourquoi l'ombre et la paix qui tombent des rameaux ? Pourquoi le lac d'azur semé de molles îles ? Pourquoi les bois profonds, les grottes, les asiles ? À quoi bon, chaque soir, quand luit l'été vermeil, Comme un charbon ardent déposant le soleil Au milieu des vapeurs par les vents remuées, Allumer au couchant un brasier de nuées ? Pourquoi rougir la vigne et jeter aux vieux murs Le rayon qui revient gonfler les raisins mûrs ? À quoi bon incliner sur ses axes mobiles Ce globe monstrueux avec toutes ses villes, Et ses monts et ses mers qui flottent alentour, À quoi bon, ô Seigneur, l'incliner tour à tour, Pour que l'ombre l'éteigne ou que le jour le dore, Tantôt vers la nuit sombre et tantôt vers l'aurore ? À quoi vous sert le flot, le nuage, le bruit Qu'en secret dans la fleur fait le germe du fruit ? À quoi ...
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