Leconte de Lisle
Le Corbeau
Poèmes barbares, Librairie Alphonse Lemerre, s. d. (1889?) (pp. 262-281).
Le Corbeau
Sérapion, abbé des onze monastères
D’Arsinoë, soumis aux trois règles austères,
Sous Valens, empereur des pays d’orient,
Un soir, se promenait, méditant et priant,
Silencieux, le long des bas arceaux du cloître.
Le soleil disparu laissait les ombres croître
Du sein des oasis et des sables déserts ;
Les astres s’éveillaient dans le bleu noir des airs ;
Et, si n’était, parfois, du fond des solitudes,
Quelques rugissements de lion, brefs et rudes,
Autour du monastère, en un repos complet,
Et dans le ciel, la nuit vaste se déroulait.
L’abbé Sérapion, d’un pas lent, sur les dalles,
Marchait, faisant sonner le cuir de ses sandales,
Anxieux de l’édit impérial, lequel
Était une épouvante aux serviteurs du ciel,
Ordonnant d’enrôler, par légions subites,
Pour la guerre des goths, cent mille cénobites.
Car, en ce temps-là, ceux qui, dans le monde épars,
Cherchaient l’oubli du siècle en Dieu, de toutes parts,
En haute et basse Égypte, abondaient, vieux et jeunes,
Afin d’être sauvés par prières et jeûnes.
Et c’est pourquoi l’édit signé de l’empereur
Emplissait les couvents de trouble et de terreur ;
Et toute chair saignait sous de plus lourds cilices,
Pour désarmer Jésus touché par ces supplices.
Or l’abbé méditait sur cela, d’un esprit
Plein d’angoisse, et priait pour son troupeau proscrit,
Levant les bras au ciel et disant : - Dieu m’assiste ! -
Mais, comme il s’en ...
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