Sully Prudhomme — Stances et PoèmesLa ParoleÀ Léon Chaillou. Voix antiques des flots, de la terre et des airs,Ecroulements lointains qui suivent les éclairs,Frisson du lourd blé jaune aux taches de pivoines,Chuchotement léger des fuyantes avoines,Clairon des ouragans, fracas des grandes eaux,Respiration vague et molle des roseaux,Élégie enchaînée au fond des sources creuses,Lamentable soupir des forêts ténébreuses,Taisez-vous ! Trop longtemps de crainte ou de langueur,Par un accent humain vous troublâtes le cœur,Vous mentiez, taisez-vous ! Il n'est qu'un souffle au mondeA qui la raison fière en se levant réponde :C'est la parole, ô bruits, et vous n'enseignez rien.Ah ! si l'on vit s'asseoir sur le tigre indienLe vainqueur indolent au front chargé de treilles.Les arbres s'incliner jusque dans les corbeilles,Et les marbres, sortis des monts aux larges flancs,Se ranger dans l'azur comme des palmiers blancs,C'est qu'une voix savante accompagnait la lyre,Et, des peuples domptant le primitif délire,Par l'harmonie apprit à ces troupeaux humainsLa féconde union des esprits et des mains,L'ordre, ce lent bienfait des paisibles querelles,Et l'art, ce jeu voulu des forces naturelles.Les hommes se parlaient sans un langage appris :La peine et le plaisir s'exhalaient dans les cris ;La terreur bégayait des prières farouches ;Le soupir échangeait les âmes sur les bouches ;Dans le rire éclatait l'étonnement joyeux,Et le discours trahi s'achevait dans les ...
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