Leconte de Lisle — Derniers Poèmes
La Mort du Moine
Les reins liés au tronc d'un hêtre séculaire
Par les lambeaux tordus de l'épais scapulaire,
Le moine était debout, tête et pieds nus, les yeux
Grands ouverts, entouré d'hommes silencieux,
Kathares de Toulouse et d'Albi, vieux et jeunes,
En haillons, desséchés de fatigue et de jeûnes,
Horde errante, troupeau de fauves aux abois
Que la meute pourchasse et traque au fond des bois.
Et tous le regardaient fixement. C'était l'heure
Où le soleil, des bords de l'horizon, effleure,
Par jets de pourpre sombre et par éclats soudains,
Les monts dont la nuit proche assiège les gradins ;
Et la tête du moine immobile, hantée
D'yeux caves, semblait morte et comme ensanglantée.
Or, le chef des Parfaits fit un pas et tendit
Le bras vers le captif, et voici ce qu'il dit :
— Frères, voyez ce moine ! Il a la face humaine,
Mais son cœur est d'un loup, chaud de rage et de haine
Il est jeune, et plus vieux de crimes qu'un démon.
Celui qui l'a pétri de son plus noir limon
Pour être dans la main de la prostituée
Une bête de proie au meurtre habituée,
Et pour que, de l'aurore à la nuit, elle fût
Toujours soûle de sang et toujours à l'affût,
Fit du rêve hideux qui hantait sa cervelle
Un blasphème vivant de la Bonne-Nouvelle.
Frères ! Notre Provence, ainsi qu'aux anciens temps,
Souriait au soleil des étés éclatants ;
Sur les coteaux, le long des fleuves, dans les plaines.
Les moissons mûrissaient, les granges étaient pleines,
Et les riches ...
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