Alfred de Musset — Premières poésiesLa Coupe et les lèvresPOÈME DRAMATIQUEEntre la coupe et les lèvres, il reste encore de laplace pour un malheur. (Ancien proverbe)Dédicace à M. Alfred TattetVoici mon cher ami, ce que je vous dédie :Quelque chose approchant comme une tragédie,Un spectacle ; en un mot, quatre mains de papier.J’attendrai là-dessus que le diable m’éveille.Il est sain de dormir, — ignoble de bâiller.J’ai fait trois mille vers : allons, c’est à merveille.Baste ! il faut s’en tenir à sa vocation.Mais quelle singulière et triste impressionProduit un manuscrit ! — Tout à l’heure, à ma table,Tout ce que j’écrivais me semblait admirable.Maintenant, je ne sais, — je n’ose y regarder.Au moment du travail, chaque nerf, chaque fibreTressaille comme un luth que l’on vient d’accorder.On n’écrit pas un mot que tout l’être ne vibre.(Soit dit sans vanité, c’est ce que l’on ressent.)On ne travaille pas, — on écoute, — on attend.C’est comme un inconnu qui vous parle à voix basse.On reste quelquefois une nuit sur la place,Sans faire un mouvement et sans se retourner.On est comme un enfant dans ses habits de fête,Qui craint de se salir et de se profaner ;Et puis, — et puis, — enfin ! — on a mal à la tête.Quel étrange réveil ! — comme on se sent boiteux !Comme on voit que Vulcain vient de tomber des cieux !C’est l’effet que produit une prostituée,Quand, le corps assouvi, l’âme s’est réveillée,Et que, comme un vivant qu’on vient d’ensevelir ...
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