Leconte de Lisle — Poèmes tragiquesLa Bête écarlate L’homme, une nuit, parmi la ronce et les graviers,Veillait et méditait sous les noirs oliviers,Au delà du qidrôn pierreux et des piscinesDe siloa. Le long des rugueuses racines,Les onze, çà et là, dormaient profondément.Et le vent du désert soufflait un râlementLamentable, et la nuit lugubre en était pleine.Et l’homme, enveloppé de sa robe de laine,Immobile, adossé contre un roc, oublieuxDes ténèbres, songeait, une main sur les yeux.Or, l’Esprit l’emporta dans le ciel solitaire ;Et, brusquement, il vit la face de la terreEt les mille soleils des temps prédestinés,Et connut que les jours de son rêve étaient nés :Un vaste remuement de choses séculaires,Une écume de bruits, de sanglots, de colères,Heurtant, engloutissant par bonds prodigieuxLes vieilles nations, leur génie et leurs dieux,Comme, aux flots débordés par l’antique déluge,La jeune humanité, moins l’arche du refuge ;Puis un fourmillement convulsif, un concertDe cris rauques, qui roule aux sables du désert ;Des spectres de famine accroupis dans les antres,De leurs bras décharnés serrant leurs maigres ventres,Hâves, hagards, haineux et rongés de remords,Épouvantés de vivre autant que d’être morts,Hachés de coups de fouet, et la chair haletanteDes lubriques désirs d’une éternelle attente,Martyrs injurieux dont le rêve hébétéBlasphème la lumière et maudit la beauté !Et l’Homme, du milieu de la Ruine immense,De ces longs hurlements ...
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