Leconte de Lisle
L’Agonie d’un saint
Poèmes barbares, Librairie Alphonse Lemerre, s. d. (1889?) (pp. 318-324).
L’Agonie d’un saint
Les moines, à pas lents, derrière le Prieur
Qui portait le ciboire et les huiles mystiques,
Rentrèrent, deux à deux, au cloître intérieur,
Troupeau d’ombres, le long des arcades gothiques.
Comme en un champ de meurtre, après l’ardent combat,
Le silence se fit dans la morne cellule,
Autour du vieil Abbé couché sur son grabat,
Rigide, à la lueur de la cire qui brûle.
Un Christ d’argent luisait entre ses maigres doigts,
Les yeux, fixes et creux, s’ouvraient sous le front lisse,
Et le sang, tiède encor, s’égouttait par endroits
De la poitrine osseuse où mordit le cilice.
Avec des mots confus que le râle achevait,
Le moribond, faisant frémir ses lèvres blêmes,
Contemplait sur la table, auprès de son chevet,
Une tête et deux os d’homme, hideux emblèmes.
Contre ce drap de mort d’eau bénite mouillé,
La face ensevelie en une cape noire,
Seul, immobile, et sur la dalle agenouillé,
Un moine grommelait son chapelet d’ivoire.
Minuit sonna, lugubre, et jeta dans le vent
Ses douze tintements à travers les ogives ;
Le bruit sourd de la foudre ébranla le couvent,
Et l’éclair fit blanchir les tourelles massives.
Or, relevant la face, après s’être signé,
Le moine dit, les bras étendus vers le faîte :
- De profundis, ad te, clamavi, Domine !
Mais, s’il le faut, Amen ! Ta volonté soit faite !
Du ciel inaccessible abaisse la hauteur,
Ouvre donc en entier les ...
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