Leconte de Lisle
L’Accident de Don Iñigo
Poèmes barbares, Librairie Alphonse Lemerre, s. d. (1889?) (pp. 289-292).
L’Accident de Don Iñigo
Quatre-vingts fidalgos à chevelures rousses,
Sur mulets harnachés de cuir fauve et de housses
Écarlates, s’en vont, fort richement vêtus :
Gants parfumés, pourpoints soyeux, souliers pointus,
Triples colliers d’or fin, toques à plumes blanches,
Les vergettes en main et l’escarcelle aux hanches.
Seul, Rui Diaz De Vivar enfourche, roide et fier,
Son cheval de bataille enchemisé de fer.
Il a l’estoc, la lance, et la cotte maillée
Qui de la nuque aux reins reluit ensoleillée,
Et, pour garer le casque aux reflets aveuglants,
Un épais capuchon de drap rouge à trois glands.
La guêpe au vol strident vibre, la sauterelle
Bondit dans l’herbe sèche et rase, le bruit grêle
Des clochettes d’argent tinte, et les cavaliers
Mêlent le rire allègre aux devis familiers :
Ruses de guerre et rapts d’amour, et pilleries
Nocturnes par la ville et dans les juiveries,
Querelles, coups de langue et coups de merci-dieu ;
Mais, immobile en selle et plus ferme qu’un pieu,
Le Rui Diaz ne dit rien, étant d’une humeur sombre.
Donc, à travers les champs pierreux qui n’ont point d’ombre,
Comme il est convenu, tous cheminent ainsi
Pour rendre grâce au roi qui leur a fait merci
Et vient au-devant d’eux avec ses feudataires,
Son alferez-mayor et ses quatre notaires
Chargés de libeller allégeance et serment,
Et trois cents compagnons armés solidement.
Vers midi, dans la ...
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