André Chénier — P o é s i e s
Épigrammes
I
Non, non, le dieu d’amour n’est point l’effroi des Muses ;
Elles cherchent ses pas, elles aiment ses ruses.
Le cœur qui n’aime rien a beau les implorer,
Leur troupe qui s’enfuit ne veut pas l’inspirer.
Qu’un amant les invoque, et sa voix les attire ;
C’est ainsi que toujours elles montent ma lyre.
Si je chante les dieux ou les héros, soudain
Ma langue balbutie et se travaille en vain ;
Si je chante l’Amour, ma chanson d’elle-même
S’écoule de ma bouche et vole à ce que j’aime.
II
Nouveau cultivateur, armé d’un aiguillon
L’Amour guide le soc et trace le sillon ;
Il presse sous le joug les taureaux qu’il enchaîne.
Son bras porte le grain qu’il sème dans la plaine.
Levant le front, il crie au monarque des dieux:
« Toi, mûris mes moissons, de peur que loin des cieux
Au joug d’Europe encor ma vengeance puissante.
Ne te fasse courber ta tête mugissante. »
III
Rien n’est doux que l’amour. Aucun bien n’est si cher.
Près de lui le miel même à la bouche est amer.
Celle qui n’aime point Vénus sur toutes choses,
Elle ne connaît pas quelles fleurs sont les roses.
IV
J’étais un faible enfant qu’elle était grande et belle :
Elle me souriait et m’appelait près d’elle.
Debout sur ses genoux, mon innocente main
Parcourait ses cheveux, son visage, son sein,
Et sa main quelquefois aimable et caressante
Feignait de châtier mon enfance imprudente.
C’est devant ses amans, auprès d’elle confus,
Que la fière beauté me caressait le plus.
Que de fois ...
Voir