Théophile Gautier — La Comédie de la MortÉlégie« J’ai fait une remarque »J’ai fait une remarque hier en te quittant.Sans doute j’ai mal vu ; mais quand on aime tantOn a peur ; on se fait avec la moindre choseUn sujet de tourments. On veut savoir la causeDe chaque effet. Un mot, un geste, une ombre, un rien,La plus folle chimère, un souvenir ancienQui dormait dans un coin du cœur et qui s’éveille,Tout vous effraie. On dit qu’infortune pareilleNe s’est pas encor vue et que l’on en mourra ;L’on n’en meurt pas ; demain peut-être on en rira.Vous veniez pour vous plaindre : un baiser, un sourire,Et vous ne savez plus ce que vous veniez dire.Quand tu liras ces vers, sans doute tu dirasQue mon idée est folle et tu m’embrasseras ;Et puis, j’oublierai tout, excepté que je t’aimeEt que je t’aimerai toujours. Fais-en de même.Or, voici ma remarque; il m’a semblé cela.Je voudrais oublier toutes ces choses-là ;Mais je ne puis. Hier tu paraissais distraite,Et ce n’est pas ainsi, certes, que JulietteLaisse aller Roméo qui part. En ce momentOù mon âme pâmée à chaque embrassementS’élançait sur ta bouche au-devant de ton âme,Où ma prunelle en pleurs baignait ma joue en flamme,Où mon cœur éperdu, sur ton cœur qu’il cherchait,Vibrait comme une lyre au toucher de l’archet,Où mes deux bras noués, comme ceux d’un avareQui tient son or et craint qu’un larron s’en empare,Te tenaient enfermée et t’enchaînaient à moi,Toi, tu ne disais rien ; tu n’écoutais pas, toi ...
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