Victor de Laprade — Le Parnasse contemporain, III
Adieux aux Alpes
I
Alpes ! forêts, glaciers ruisselants de lumière,
Sources des grandes eaux où j'ai bu si souvent,
Sommets ! libres autels où, dans ma foi première,
J'ai respiré, senti, touché le Dieu vivant ;
Où la terre a pour moi dénoué sa ceinture,
Où, dans ses bois obscurs, j'ai rencontré le jour ;
Où mon cœur s'enivrait, aux bras de la nature,
D'un mélange sacré de terreur et d'amour !
C'est à vous que je dois le secret de mon être,
Mes élans vers l'azur et vers la liberté.
Alpes ! désert chéri, vous fûtes mon seul maître ;
Mon vrai poëme à moi, vous me l'avez dicté.
Trente ans déjà passés, jeune, ardent, fier, austère,
Chercheur enthousiaste, altéré d'inconnu,
Et pressentant l'amour au fond du grand mystère,
Alpes ! mes blanches sœurs, chez vous je suis venu.
D'autres avaient baisé votre manteau de neige,
Et le soir, sur vos lacs d'azur et de vermeil,
Aperçu dans l'éther le radieux cortège
De vos fronts empourprés aux adieux du soleil.
Ils avaient retrempé leurs pinceaux dans vos flammes
Et de nos vers éteints ravivé les couleurs ;
Pour les verser à flots sur les genoux des femmes,
Ils avaient à vos bois dérobé maintes fleurs.
Mais moi, sans m'attarder aux roses de vos cimes,
Sitôt qu'un large éclair m'entr'ouvrait votre sein,
Eperdu, je plongeais dans ces vivants abîmes :
C'est dans votre âme à vous que j'ai fait mon larcin.
J'ai pressé de mes doigts cette invisible artère
Par où s'épand la vie aux lieux les ...
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