Sully Prudhomme — Stances et PoèmesÀ la Nuit O vénérable Nuit, dont les urnes profondesDans l'espace infini versent tranquillementUn long fleuve de nacre et des millions de mondes, Et dans l'homme un divin calmant,Tu berces l'univers, et ton grand deuil ressembleA celui d'une veuve exercée aux douleurs,Qui pense au lendemain inexorable, et tremblePour son enfant qui dort les mains pleines de fleurs.Tu regardes la terre avec mélancolie ;Tu ne ris point là-haut comme le jour moqueur ;Tu plains les maux de l'homme, et pour qu'il les oublie Tu poses la main sur ton cœur.Mais pourquoi t'en vas-tu, passagère céleste ?Pourquoi rends-tu la terre à son cruel soleil ?Demeure cette fois, je t'en supplie, ah ! reste ;S'il faut souffrir encore, à quoi bon le réveil ?Tu nous sauveras tous, ô Nuit, si tu demeures :Nous ne le craindrons plus, cet ennemi prochain,Ce dé fatal caché dans la robe des heures Qu'on nomme avec effroi : Demain.Demain ! c'est le réveil des corps pour la fatigue,Des âmes pour le mal et les muets tourments,Des cités pour le bruit, l'ambitieuse intriguePlus stérile que l'onde en ses vains mouvements ;C'est le réveil des cœurs pour le désir avide,Le regret, l'espoir vague et le vorace ennui,Des fronts pour la pensée insatiable et vide Que leurre l'idéal enfui ;C'est le réveil des bras pour la bêche et les armes,Des langues pour l'erreur et pour la trahison,Des pieds pour l'aventure et des yeux pour les ...
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