Paradoxe sur le comédienDenis Diderot1773PREMIER INTERLOCUTEURN’en parlons plus.SECOND INTERLOCUTEURPourquoi ?LE PREMIERC’est l’ouvrage de votre ami.LE SECONDQu’importe ?LE PREMIERBeaucoup. À quoi bon vous mettre dans l’alternative de mépriser ou son talent, oumon jugement, et de rabattre de la bonne opinion que vous avez de lui ou de celleque vous avez de moi ?LE SECONDCela n’arrivera pas ; et quand cela arriverait, mon amitié pour tous les deux, fondéesur des qualités plus essentielles, n’en souffrirait pas.LE PREMIERPeut-être.LE SECONDJ’en suis sûr. Savez-vous à qui vous ressemblez dans ce moment ? À un auteur dema connaissance qui suppliait à genoux une femme à laquelle il était attaché, de nepas assister à la première représentation d’une de ses pièces.LE PREMIERVotre auteur était modeste et prudent.LE SECONDIl craignait que le sentiment tendre qu’on avait pour lui ne tînt au cas que l’on faisaitde son mérite littéraire.LE PREMIERCela se pourrait.LE SECONDQu’une chute publique ne le dégradât un peu aux yeux de sa maîtresse.LE PREMIERQue moins estimé, il ne fût moins aimé. Et cela vous paraît ridicule ?LE SECONDC’est ainsi qu’on en jugea. La loge fut louée, et il eut le plus grand succès : et Dieusait comme il fut embrassé, fêté, caressé.LE PREMIERIl l’eût été bien davantage après la pièce sifflée.LE SECONDJe n’en doute pas.LE PREMIEREt je persiste dans mon avis.LE SECONDPersistez, j’y consens ; mais songez que je ne suis ...
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