IL AVAIT TOUJOURS SEMBLÉ à Antoine avoirl’âge des chiens. Quand il avait sept ans, ilse sentait usé comme un homme de qua-rante-neuf ans; à onze, il avait les désillu-sions d’un vieillard de soixante-dix-septans. Aujourd’hui, à vingt-cinq ans, espérantune vie un peu douce, Antoine prit la réso-lution de couvrir son cerveau du suaire dela stupidité. Il n’avait que trop souventconstaté que l’intelligence est le mot quidésigne des sottises bien construites et joli-ment prononcées, qu’elle est si dévoyée quel’on a souvent plus avantage à être bêtequ’intellectuel assermenté. L’intelligencerend malheureux, solitaire, pauvre, quand9le déguisement de l’intelligence offre uneimmortalité de papier journal et l’admira-tion de ceux qui croient en ce qu’ils lisent.La bouilloire commença à émettre unsifflement souffreteux. Antoine versa l’eaufrémissante dans une tasse bleue décoréed’une lune entourée de deux roses rouges.Les feuilles de thé s’ouvrirent en tour-billonnant, diffusant leur couleur et leurparfum, tandis que la v apeur s’envolait et semêlait au corps de l’air. Antoine s’assit àson bureau face à l’unique fenêtre de sonstudio en désordre.Il avait passé la nuit à écr ire. Dans ungrand cahier d’écolier,après bien des tâton-nements, après des pages de brouillon, ilavait enfin réussi à donner une forme à sonmanifeste.Avant cela,pendant des semainesil s’était exténué à trouv er une échappa toire,à imaginer des faux-fuyants probants. Maisil avait ...
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