Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Observations sur Salluste et sur Tacite
OBSERVATIONS SUR SALLUSTE ET SUR TACITE.
1À M. Vossius .
(1668.)
J’ai voulu faire autrefois un jugement fort exact de Salluste et de Tacite ; mais ayant
connu depuis que d’autres l’avoient déjà fait, pour ne suivre ni perdre entièrement
ma pensée, je me suis réduit à une seule observation que je vous envoie.
Il me semble que le dernier tourne toute chose en politique. Chez lui la nature et la
fortune ont peu de part aux affaires ; et je me trompe, ou il nous donne souvent des
causes bien recherchées de certaines actions toutes simples, ordinaires et
naturelles.
Quand Auguste veut donner des bornes à l’empire, c’est, à son avis, par une
jalouse appréhension qu’un autre n’ait la gloire de les étendre. Le même empereur,
s’il en est cru, prend des mesures pour s’assurer les regrets du peuple romain,
ménageant artificieusement les avantages de sa mémoire, par le choix de son
2successeur .
L’esprit dangereux de Tibère, ses dissimulations sont connues de tout le monde :
mais ce n’est pas assez connoître le naturel de l’homme, que de donner à ce prince
un artifice universel : la nature n’est jamais si fort réduite, qu’elle ne se garde autant
de droits sur nos actions, que nous en pouvons prendre sur ses mouvements. Il
entre toujours quelque chose du tempérament dans les desseins les plus
concertés ; et il n’est pas croyable que Tibère, assujetti tant d’années aux volontés
de Séjan, ou à ses infâmes ...
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