Nigrinus ou le portrait d'un philosopheLucien de SamosateTraduction française d’Eugène TalbotLETTRE À NIGRINUSLucien à Nigrinus, salut.Le proverbe dit : "Des chouettes à Athènes (02)," pour montrer combien il estridicule de porter des chouettes dans une ville où elles abondent. Si, dans l'espritde faire parade de mon éloquence, je composais quelque ouvrage et l'envoyais àNigrinus, je m'exposerais au même ridicule que l'homme aux chouettes. Maiscomme je n'ai d'autre intention que de vous faire savoir ce que je pense de vous, etles sentiments que m'inspirent vos discours, j’échapperai à l'application du mot deThucydide (03) : "L'ignorance rend hardi et la réflexion circonspect ;" et l'on verraclairement que ce n'est pas l'ignorance toute seule qui me rend téméraire, maisl'amour que je ressens pour vos leçons. Adieu.UN AMI, LUCIEN.1. L'AMI. Quel air grave, quelle tête haute depuis ton retour ! Tu ne daignes ni nousregarder ni prendre part à nos réunions et à nos entretiens ; je te trouvecomplètement changé, et devenu bien fier. Te plairait-il de me faire savoir la caused'un changement si extraordinaire ?LUCIEN. La cause, mon cher ami ?... C’est le bonheur !...L'AMI. Que veux-tu dire ?LUCIEN. Tu vois un homme devenu, sans s'y attendre heureux, fortuné, trois foisheureux, comme on dit à la scène.L'AMI. Par Hercule ! En si peu de temps ?LUCIEN. Oui.L'AMI. Et quel est donc le grand bonheur qui te rend si fier ? Ce n'est pas en grosqu'il faut me faire ...
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