Le Chevalier de Tréfleur
Gaschon de Molènes
Revue des Deux Mondes
4ème série, tome 30, 1842
Le Chevalier de Tréfleur
On a beaucoup parlé à Coblentz, pendant l’émigration, du chevalier de Tréfleur. Le
pauvre chevalier mit fin à ses jours de la façon la plus romanesque ; un matin, par
un beau ciel, il se jeta dans les eaux vertes du Rhin, en tenant une femme entre ses
bras. Pour un étudiant de Carlsruhe ou de Weimar, c’eût été une mort fort
convenable ; c’était un déplorable trépas pour un gentilhomme français. Comme le
disait avec raison la maréchale de M… le suicide a quelque chose de républicain
et de roturier. Aussi Tréfleur fut-il blâmé très durement. Sa tante, Mlle de Kerguen,
qui était une personne fort pieuse, fut affligée d’une façon toute particulière, et son
oncle, le commandeur de Tréfleur, qui s’était trouvé à Fontenoy, dit qu’il était
accoutumé a voir sur le front d’un homme de sa race le sang d’une noble blessure
reçue dans une affaire d’honneur ou dans un combat, non pas l’écume et le limon
d’une rivière. Eh bien ! Tréfleur ne méritait pas les reproches qu’on fit à sa
mémoire. Il avait pour le suicide le mépris le plus profond, et, s’il avait été las de la
vie, ce n’est pas à l’eau ou au charbon qu’il eût demandé la mort. Pourquoi donc se
tua-t-il ?-Moi, je prétends qu’il ne se tua pas. -Et pourtant ce fut bien son corps
qu’on retira du Rhin ? - Oui ; mais son ame ne résidait plus dans son corps quand
ce corps tomba dans le fleuve. - Un seul homme a pu ...
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