Paul ScarronNouvelles tragi-comiquesLe Châtiment de l’avariceLE CHATIMENT DE L’AVARICE.Il n’y a pas long-tems qu’un jeune garçon aussi ambitieux que pauvre, et se piquantencore plus d’être cru gentilhomme, que d’être estimé animal raisonnable, sortiedes montagnes de Navarre, et vint avec son père chercher dans Madrid ce qui nese rencontroit pas dans son pays, je veux dire des bienfaits de la fortune, qui setrouvent à la cour plutôt qu’ailleurs, et qui ne s’y acquièrent guéres qu’en demandantet en se faisant souvent refuser. Il eut le crédit, je ne sai pas comment, d’être reçupage chez un prince (condition qui en Espagne n’est pas si heureuse que celle delaquais en France, et qui n’y est guéres plus honorable.) Il prit les livrées à douzeans, et dès ce tems-là il fut le page du monde le plus ménager et le plus fripon. Iln’avoit pour tout bien que ses hautes espérances, et un pauvre lit dressé dans unpetit galetas, qu’il avoit loué dans le quartier de son maître, et là il se retiroit la nuitavec son père, riche d’années, puisqu’il en vivoit, et que faisant par-là pitié à tout lemonde il en recevoit des charités. Ce vieux pére mourut, et son fils s’en réjouit, secroyant déjà enrichi de ce que son pére ne dépenseroit point. Dès-lors il s’imposalui-même une frugalité si grande, et une régle de vie si étroite et si austére, qu’il nedépensoit presque rien du peu d’argent qu’on lui donnoit chaque jour pour vivre. Ilest vrai que c’étoit aux dépens de son ...
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