La Tragédie russeFragment du journal deLeonid AndreïevTraduits du russe par Joseph KesselParus dans La Revue de Paris, année 29, 1922Le journal d’un grand écrivain est toujours d’une lecture attachante lorsqu’il n’est point écrit en vuede publication. Dans ses œuvres, l’auteur le plus sincère ne peut éviter une certaine affectation, unsouci d’art, une préméditation enfin, qui cachent son visage véritable, tandis qu’il se livre, dépouilléet sans défense, dans les feuilles éparses, tracées au jour le jour, qui sont la traduction directe desa pensée et le registre immédiat de ses réactions sentimentales.[1]Avec les fragments du journal d’Andreïeff cet intérêt s’accroît encore, car à la personnalité de l’undes plus grands artistes de la Russie moderne s’ajoute l’atmosphère d’une période tragique.Il faut se représenter le moment où Leonide Andreïeff trace ses impressions pour en comprendretoute la valeur. C’est en 1918, l’année où la Russie envahie par les Allemands accepte joyeusementsa honte et subit les premières expériences communistes. L’écrivain chassé, ruiné, miné par lamaladie, s’est réfugié en Finlande, où l’attend une mort prochaine et dont il a la prescience. Aquelques verstes, si près qu’il en peut entendre les échos, crépite la fusillade, symbole de la luttefratricide qui ravage son pays. Andreïeff souffre dans son patriotisme, dans son amour deshommes, dans son idéal brisé.Il vécut, en effet, comme la plupart des intellectuels russes, dans ...
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