Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesJugement sur Sénèque, Plutarque et PétroneJUGEMENT SUR SÉNEQUE, PLUTARQUE ET PÉTRONE.(1664.)Je commencerai par Sénèque, et vous dirai avec la dernière impudence, quej’estime beaucoup plus sa personne que ses ouvrages. J’estime le précepteur deNéron, l’amant d’Agrippine, l’ambitieux qui prétendoit à l’empire. Du philosophe etde l’écrivain, je ne fais pas grand cas : je ne suis touché ni de son style ni de sessentiments. Sa latinité n’a rien de celle du temps d’Auguste, rien de facile, rien denaturel : toutes pointes, toutes imaginations, qui sentent plus la chaleur d’Afrique oud’Espagne, que la lumière de Grèce ou d’Italie. Vous y voyez des choses coupées,qui ont l’air et le tour de sentences, mais qui n’en ont ni la solidité, ni le bon sens ;qui piquent et poussent l’esprit, sans gagner le jugement. Son discours forcé mecommunique une espèce de contrainte ; et l’âme, au lieu d’y trouver sa satisfactionet son repos, y rencontre du chagrin et de la gêne.Néron, qui pour être un des plus méchants princes du monde, ne laissoit pas d’êtrefort spirituel, avoit auprès de lui des espèces de petits maîtres fort délicats, quitraitoient Sénèque de pédant, et le tournoient en ridicule. Je ne suis pas de1l’opinion de Berville, qui pensoit que le faux Eumolpe de Pétrone fût le véritableSénèque. Si Pétrone eût voulu lui donner un caractère injurieux, c’eût été plutôt sousle personnage d’un pédant philosophe, que d’un poëte ...
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