Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Dissertation sur le mot vaste
DISSERTATION SUR LE MOT VASTE.
À Messieurs de l’Académie françoise.
(1677.)
Après m’être condamné moi-même sur le mot de Vaste, je me persuadois qu’on
devoit être content de ma rétractation : mais puisque Messieurs de l’Académie ont
jugé à propos que leur censure fût ajoutée à la mienne, je déclare que mon désaveu
n’étoit pas sincère ; c’étoit un pur effet de docilité et un assujettissement volontaire
1de mes sentiments à ceux de Madame Mazarin . Aujourd’hui, je reprends contre
eux la raison que j’avois quittée pour elle, et que tout honnête homme feroit vanité
d’avoir perdue.
On peut disputer à Messieurs de l’Académie le droit de régler notre langue, comme
il leur plaît. Il ne dépend pas des auteurs d’abolir de vieux termes, par dégoût, et
d’en introduire de nouveaux, par fantaisie. Tout ce qu’on peut faire pour eux, c’est
de les rendre maîtres de l’usage, lorsque l’usage n’est pas contraire au jugement et
à la raison. Il y a des auteurs qui ont perfectionné les langues ; il y en a qui les ont
corrompues ; et il faut revenir au bon sens, pour en juger. Jamais Rome n’a eu de si
beaux esprits que sur la fin de la République : la raison en étoit qu’il y avoit encore
assez de liberté, parmi les Romains, pour donner de la force aux esprits, et assez
de luxe pour leur donner de la politesse et de l’agrément. En ce temps, où la beauté
de la langue étoit à son plus haut point ; ce temps où il y avoit à Rome ...
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