Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Défense de quelques pièces de théâtre de M. Corneille
DÉFENSE DE QUELQUES PIÈCES DE THÉATRE
DE M. CORNEILLE.
1À M. de Barillon .
(1677.)
I. Je n’ai jamais douté de votre inclination à la vertu, mais je ne vous croyois pas
scrupuleux jusqu’au point de ne pouvoir souffrir Rodogune, sur le théâtre, parce
qu’elle veut inspirer à ses amants le dessein de faire mourir leur mère, après que la
mère a voulu inspirer à ses enfants le dessein de faire mourir une maîtresse. Je
vous supplie, Monsieur, d’oublier la douceur de notre naturel, l’innocence de nos
mœurs, l’humanité de notre politique, pour considérer les coutumes barbares et les
maximes criminelles des princes de l’Orient. Quand vous aurez fait réflexion qu’en
toutes les familles royales de l’Asie, les pères se défont de leurs enfants, sur le plus
léger soupçon ; que les enfants se défont de leurs pères, par l’impatience de
régner ; que les maris font tuer leurs femmes, et les femmes empoisonner leurs
maris ; que les frères comptent pour rien le meurtre des frères ; quand vous aurez
considéré un usage si détestable, établi parmi les rois de ces nations, vous vous
étonnerez moins que Rodogune ait voulu venger la mort de son époux sur
Cléopâtre, qu’elle ait voulu assurer sa vie, recouvrer sa liberté, et mettre un amant
sur le trône, par la perte de la plus méchante femme qui fut jamais. Corneille a
donné aux jeunes princes tout le bon naturel qu’ils auroient dû avoir pour la
meilleure ...
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