Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesDe l’éducation et de l’ignoranceDE L’ÉDUCATION ET DE L’IGNORANCE.Lettre à Monsieur le comte d’Olonne.(1656.)Vous me laissâtes, hier, dans une conversation qui devint insensiblement unefurieuse dispute. On y dit tout ce que l’on peut dire, à la honte et à l’avantage deslettres. Vous devinez les acteurs, et sçavez qu’ils étoient tous deux fort intéressés à1maintenir leur parti : Bautru ayant fort peu d’obligation à la nature, de son génie ; et2le Commandeur pouvant dire, sans être ingrat, qu’il ne doit son talent ni aux arts niaux sciences.3La dispute vint sur le sujet de la reine de Suède , qu’on louoit de la connoissancequ’elle a de tant de choses. Tout d’un coup le Commandeur se leva ; et ôtant sonchapeau, d’un air tout particulier : « Messieurs, dit-il, si la reine de Suède n’avoit suque les coutumes de son pays, elle y serait encore. Pour avoir appris notre langueet nos manières ; pour s’être mise en état de réussir huit jours en France, elle aperdu son royaume. Voilà ce qu ont produit sa science, et ses belles lumières, quevous nous vantez. »Bautru voyant choquer la reine de Suède qu’il estime tant, et les bonnes lettres quilui sont si chères, perdit toute considération ; et commençant par un serment : « Ilfaut être bien injuste, reprit-il, d’imputer à la reine de Suède, comme un crime, laplus belle action de sa vie. Pour votre aversion aux sciences, je ne m’en étonnepoint : ce n’est pas d’aujourd’hui que ...
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