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Français
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2014
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Chapitre1
28septembrel859.
Hierj'aieutrenteans.
Lajournéeavaitétéfroide,j'étaisassisaucoindufeu,regardantlesflammes
bleuissantesquiléchaientlesparoisnoirciesdelacheminéeensoulevantdeleurhaleine
lapoussièredescharbonséteints.J'étaistriste.J'avaisessayédelire,maismonesprit
fuyaitloindemonlivreetjetournaismachinalementdespagesdontmamémoire
n'aurait pas su dire un mot. Je sentais monter en moi ces mélancolies vagues et
indéfiniesquisontlapiresouffrancedestempéramentsnerveux;j'entendaisunetroupe
depenséesdouloureusesquivoletaientautourdemoi,commedesoiseauxdenuit.Je
voulusfuircestourmentssansremèdequiattendentlesdésœuvréssurleseuildeleur
solitude;jemelevaietjemarchaidansmonappartement.Lalampeplacéesurlatable
décrivait un grand cercle lumineux au milieu de la chambre; le reste était dans
l'obscurité.Toutàcoupunebûches'écrouladanslefeu;unjetdelumièreenjaillit,
tremblotantauboutd'unsouffledegazquipoussaitunlongsoupir;toutunpanneaude
muraillesetrouvailluminéparcetteclartésubite;surcepanneauétaitaccrochéun
portraitdemamère;laflammequimouraitetrenaissaitdixfoisparminutesemblait
l'animerenletirantdel'ombreoùildormait.Jeregardaiceportraitetjemeprisà
songeràmamère.Celamerejetaloindanslavie,carilyabienlongtempsqueseslèvres
pâliesm'ontdonnélebaiserd'adieu.
Jelarevisd'abord,enmessouvenirslespluséloignés,vêtuedenoir,endeuilde
monpère,dansungrandparcàlacampagne,marchantsousdevieillescharmillesetme
traînantparlamain,pendantquej'appelaisunpetitchienquejemartyrisaisdema
sollicitude.Puisjerevisunappartementtrès-beau;c'étaitlesoir;ilyavaitdesbougieset
unelampequejevoisencore,enformedecolonneetcouronnéed'unglobeaplati;les
personnesprésentesgardaientlesilence,mabonne,agenouillée,pleuraitdansuncoin;
mamèremetenaitrenversésursesgenoux,etjesentaislapluietièdedeseslarmesqui
tombaientsurmonvisage;unmédecinassisenfaced'ellemeposaitsurlapoitrinedes
ventousesscarifiées;jemedébattaiscontreladouleuretjetendaismespetitsbrasen
criant:Jen'aiplusdecourage!Puisc'étaitdansuneétroitechambredonnantsurle
jardindessourdsetmuetsdontj'avaispeur;unmaîtrem'apprenaitàlireetmedonnait
descoupsderèglesurlesdoigtsquandj'épelaismalmeslettres.Monenfancerevenaità
moietm'apportaitmillesouvenirsquejecroyaisoubliés.Plustard,j'étaisdéjàgrand,un
domestiquem'emportaitencourantetmedéposaitàcôtédemamèredansunechaise
deposte.Ontiraitdescoupsdefusil,onbrisaitdesréverbères.C'étaitlarévolutionde
juillet.Lavoiturepartit,elleroulalentementàtraverslesruesencombréesparlafoule
quihurlait;jevoulaisregarderauxportières,maisonm'enempêchaitdanslacrainte
quejenefusseblessé.Pendantdeuxjoursnouscourûmessurunegranderoute;on
nousarrêtaitpournousdemanderdesnouvelles;puisnousarrivâmesenfindansunevilletoutembastionnéederemparts:c'étaitMézières.J'yrestaiunmois!Ah!Lebon
tempsquecefutlà,etcommesouventjel'airegretté!J'étaislibre,enpleinespace:j'al
laissurl'esplanade,surlesremparts,surlesbordsdelaMeuse,joueraveclesgaminsdu
pays;jetournaisenrondaveclespetitesfilles;ilyenavaitunequej'aimaispar-dessus
lesautres;elles'appelaitAppollonie;jel'airevuedernièrement,aprèsvingt-deuxans;
nous nous sommes reconnus; c'est une des plus belles créatures qui soient jamais
sortiesdesmainsdeDieu.Cetterencontrem'aplongédansdesabîmesdetristessedont
jenepuissortir.Unanaprès,aupremierjanvier,verscinqheuresdusoir,heureuxau
milieudesjouetsetdeslivresquej'avaisreçusauxétrennes,j'étaisassissurletapisdu
foyer,danslesalon,immobile,pournepasréveillermamèrequisommeillaitsurson
fauteuil.Toutàcoup,sansêtreannoncés,deuxhommesentrèrent,vêtusdenoir,etque
jeneconnaissaispas.Ilséchangèrentquelquesmotsavecmamère,quilaissatombersa
têtedanssesmains,endisant:OmonDieu!ÔmonDieu!Mabonnevintetm'emmena.
— Ilestarrivéungrandmalheur,medit-elle;pauvreMadame,commentva-t-elle
faire?
Jememisàpleurersanssavoirpourquoi.Quandleshommesnoirsfurentpartis,je
courusversmamère,jebaisaisonvisagebaignédelarmesetjeluidemandaipourquoi
elleétaitsitriste:
—Pauvrepetiot,merépondit-elle,c'estsurtoutenpensantàtoiquej'aitantde
chagrin!
—Maisenfin,qu'avez-vous?Luidisais-jeenl'accablantdecaresses.
—Tulesaurasplustard,quandtuserasunhomme,merépliqua-t-elle.
Jecouchaisdansunechambrecontiguëàcelledemamèreetdontonlaissait
toujourslaporteouverte;ilétaittard,etdepuislongtempsjedormais,lorsquej'entendis
unbruitdevoixquimeréveilla.J'écoutai:
—Iln'yapasdereprochesàtefaire,disaitmamère;commelesgensquise
noient,tuasétésanspitié,etdanstonmonstrueuxégoïsme,tupoussesverstaruine
tousceuxquit'entourent.
—Queveux-tu,réponditunevoixquejereconnusêtrecelledemononcle,je
croyaisàlaguerre;j'aijouéàlabaisse,etcetteliquidation-cim'atué.
—Toietbiend'autres,repritmamère;coûtequecoûtejetesauverai,ettantque
jevivrai,ilneserapasditquemonfrèreaurapériparmafaute.Puis,ilyeutune
discussiond'intérêt;onparlaitdechiffres,dedividendes,decapital,etdebiend'autres
chosesquejenecomprenaispas.Enfin,j'entendismamèrequidisait:
— Songes-y bien, tu as maintenant deux routes devant toi : celle de la
réhabilitationparletravailetcelledudéshonneurquetaparessepeutrendredéfinitif.
Cettefortunequejetelivren'estpaslamienne;elleestcelledemonfils,c'estundépôt
quesonpèremourantm'aconfiéetdontjedevrairendrecompte.Tuesjeune,tuas
trenteansàpeine,utilisetavie,recommencecourageusementlabataillemalgréta
défaited'aujourd'hui,etn'oubliejamaisquec'estparmonfilsquejetesauveàcette
heure,etquesiplustardilestpauvre,c'estquetun'auraspaseul'énergiedetravailler
pourluirendrecequetuluidois.
Lelendemain,onmeditquemononcleétaitpartipourunvoyage.Quelquesjours
après, on vendit les chevaux, un carrossier emmena les voitures, la plupart des
domestiquesquittèrentlamaison.Puis,auboutd'unmois,mamèreabandonnason
appartementetallahabiterdansunerued'oùl'onvoyaitlecimetièreMontmartre,
commesielleeûtdéjàvouluserapprocherdesademeuredernière.
Commejedemandaisàmamèreraisondetousceschangements,ellemerépondit:
—Eh!Monpauvreenfant,noussommespresqueruinés.
Unautrejour,aumoisd'octobre,ah!Lejourmaudit!Onmeconduisitdansune
grandevieillemaisondelarueSaint-Jacquesquiressemblaitàunecaserneouàune
prison;c'étaitlecollège.Jemejetaiaucoudemamère,etavecdessanglotsjela
suppliaidemeremmeneravecelleetdenepasmelaisseravectoutescespersonnes
quejeneconnaissaispasetquim'effrayaient.
—Cherpetit,meditmamère,quiavaitaussilesyeuxhumidesetquisentait
peut-êtresoncourageluiéchapper,cherpetiot,soisraisonnable;ilfautapprendreà
devenirunhomme;toutemajoieestentoimaintenant,ettutravailleraspourmefaire
plaisir.
—Jenesaispassijetravaillerai,maisjesaisbienquejeseraimalheureux,
répondis-jeavecungrossoupir.
Unefaçondedomestiquemepritparlamain,etàtraversdescours,descouloirs
etdescorridorsmeconduisitjusqu'àuneportequ'ilouvrit.C'étaitl'étude.Tousles
élèvestournèrentlatêteversmoi,etj'entendisqu'ondisait:
—Tiens!C’estunnouveau!
Onmedonnauneplace,onm'indiqualedevoiràfaireetlaleçonàapprendre.Je
pensaiàlamaison,àmabonnequiavaiteutantdepeineenmevoyantpartir,etjeme
misàpleurerdeplusbelle.Monvoisinsetournaversmoi:
—Ehbien!medit-il,tuesencorejolimentmelondepiaulercommeça.
Cefutàpeinesijecompris,c'étaitlàunargotquejenesavaispasencore.
Quandlarécréationfutvenue,chacunmedemandaitmonnometretournaitàses
jeuxaprèsl'avoirappris.Cetteindifférencemeglaça;jecomprisquej'étaisseulau
milieudecettefoule;ilmeparutquemescamaradessemoquaientdematristesse,je
trouvailesortinjustedemejeterainsiaumilieud'unmondeinconnu,etpeut-être
malveillant;j'allaim'asseoirsurunbanc,retenantmeslarmes,méditantdesprojetsde
fuite,murmuranttoutbasdesimprécations,medésolantdenepasêtrecommeles(ils
denosfermiersquivivaientlibresdansleschamps,etrejetantlepainsecdemon
goûter,jenemangeaipas,quoiquej'eussefaim,obéissantàmoninsuàcesentiment
innéchezl'hommed'exagérersapropredouleurafindes'enorgueillirdavantage.
Commej'étaisperdudansmesréflexions,degrandscrissefirententendreetje
levailatête.Parlaportedelacour,unenfantvenaitd'entrer.llétaitvêtuenGrec,et
s'était réfugié dans un coin pour fuir la foule des écoliers qui se ruait sur lui. Un
sentimentdecuriositémesoulevaetmepoussadesoncôté;j'arrivaietjepénétraiau
milieudugroupe.
—Commentt'appelles-tu?dis