XV. Le Loup, la Chevre, & le Chevreau. XVI. Le Loup, la Mere & l’Enfant. La Bique allant remplir ſa traînante mammelle, Et paiſtre l’herbe nouvelle, Ferma ſa porte au loquet ; Non ſans dire à ſon Biquet ; Gardez-vous ſur votre vie D’ouvrir, que ...
L a Bique allant remplir ſa traînante mammelle, Et paiſtre l’herbe nouvelle, Fermaſa porte au loquet ; Nonſans dire à ſon Biquet ; Gardez-vousſur votre vie D’ouvrir,que l’on ne vous die Pourenſeigne & mot du guet, Foindu Loup & de ſa race. Commeelle diſoit ces mots, LeLoup de fortune paſſe. Illes recueille à propos, Etles garde en ſa memoire. LaBique, comme on peut croire, N’avoitpas vû le glouton. Dés qu’il la voit partie, il contrefait ſon ton ; Etd’une voix papelarde Il demande qu’on ouvre, en diſant Foin du Loup, Etcroyant entrer tout d’un coup. Le Biquet ſoupçonneux par la fente regarde. Montrez-moy pate blanche, ou je n’ouvriray point, S’écria-t-il d’abord (pate blanche eſt un point Chez les Loups comme on ſçait rarement en uſage.) Celuy-cy fort ſurpris d’entendre ce langage, Comme il eſtoit venu s’en retourna chez ſoy. Où ſeroit le Biquet s’il euſt ajoûté foy Aumot du guet, que de fortune NoſtreLoup avoit entendu ? Deuxſeuretez valent mieux qu’une : Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
L e Loup me remet en memoire Un de ſes compagnons qui fut encor mieux pris.
Ily perit ; voicy l’hiſtoire. Un Villageois avoit à l’écart ſon logis. Meſſer Loup attendoit chape-chute à la porte. Il avoit vû ſortir gibier de toute ſorte ; Veauxde lait, Agneaux & Brebis, Regimens de Dindons, enfin bonne Provende. Le larron commençoit pourtant à s’ennuyer. Ilentend un enfant crier. Lamere auſſi-toſt le gourmande, Lemenace, s’il ne ſe taiſt, De le donner au Loup. L’Animal ſe tient preſt ; Remerciant les Dieux d’une telle avanture. Quand la mere appaiſant ſa chere geniture, Luy dit : Ne criez point ; s’il vient, nous le tuërons. Qu’eſt cecy ? s’écria le mangeur de Moutons. Dire d’un, puis d’un autre ? Eſt-ce ainſi que l’on traite Les gens faits comme moy ? Me prend-on pour un ſot ? Quequelque jour ce beau marmot Vienneau bois cueillir la noiſette. Comme il diſoit ces mots, on ſort de la maiſon. Un chien de cour l’arreſte. Epieux & fourches fieres L’ajuſtentde toutes manieres. Que veniez-vous chercher en ce lieu, luy dit-on ? Auſſi-toſtil conta l’affaire. Mercide moy, luy dit la Mere, Tu mangeras mon fils ? L’ay-je fait à deſſein Qu’ilaſſouviſſe un jour ta faim ? Onaſſomma la pauvre beſte. Un manant luy coupa le pied droit & la teſte. Le Seigneur du Village à ſa porte les mit ; Et ce dicton Picard à l’entour fut écrit : Biaux chires leups n’écoutez mie Mere tenchent chen fieux qui crie.
Fables de La Fontaine: Barbin & Thierry | Georges Couton