Alphonse de Lamartine — Harmonies poétiques et religieuses
Livre deuxième
La Perte de l’Anio
À M. le marquis Tancrède de Burol
J'avais rêvé jadis au bruit de ses cascades,
Couché sur le gazon qu'Horace avait foulé,
A l'ombre des vieilles arcades
Où la Sibylle dort sous son temple écroulé ;
Je l'avais vu tomber dans les grottes profondes
Où la flottante Iris se jouait dans ses ondes,
Comme avec les crins blancs d'un coursier des déserts
Le vent aime à jouer pendant qu'il fend les airs ;
Je l'avais vu plus loin sur la mousse écumante
Diviser en ruisseaux sa nappe encor fumante,
Étendre, resserrer ses ondoyants réseaux,
Jeter sur le gazon le voile errant des eaux
Et, comblant le vallon de bruit et de poussière,
Poursuivre au loin sa course en vagues de lumière.
Mes regards, à ses flots suspendus tout le jour,
Les cherchaient, les suivaient, les perdaient tour à tour,
Comme un esprit flottant de pensée en pensée,
Qui les perd, et revient sur leur trace effacée ;
Je le voyais monter, rouler, s'évanouir,
Et de ses flots brillants j'aimais à m'éblouir :
Il me semblait revoir ces longs rayons de gloire,
Dont la ville éternelle avait ceint sa mémoire,
Remonter vers leur source à travers l'âge obscur
Et couronner encor les sommets de Tibur ;
Et quand des flots hurlant dans leurs larges abîmes
Mon oreille écoutait les murmures sublimes,
Dans ces convulsions, ces voix, ces cris des flots,
Multipliés cent fois par de roulants échos,
Il me semblait entendre à travers la distance
Les ...
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