Alphonse de Lamartine — Recueillements poétiques
À M. le comte de Virieu
après la mort d'un ami commun
le baron de Vignet
mort à Naples en 1838
Aimons-nous ! nos rangs s’éclaircissent,
Chaque heure emporte un sentiment ;
Que nos pauvres âmes s’unissent
Et se serrent plus tendrement !
Aimons-nous ! notre fleuve baisse ;
De cette coupe d’amitié
Que se passait notre jeunesse,
Les bords sont vides à moitié.
Aimons-nous ! notre beau soir tombe ;
Le premier des deux endormi
Qui se couchera dans la tombe
Laissera l’autre sans ami.
O Naples, sur ton cher rivage,
Lui, déjà ses yeux se sont clos :
Comme au lendemain d’un voyage,
Il a sa couche au bord des flots !
Son âme, harmonieux cantique,
Son âme, où les anges chantaient,
De sa tombe entend la musique
De ces mers qui nous enchantaient.
Comme un cygne à la plume noire,
Sa pensée aspirait au ciel,
Soit qu’enfant le sort l’eût fait boire
Quelque goutte amère de fiel ;
Soit que d’infini trop avide,
Trop impatient du trépas,
Toute coupe lui parût vide
Tant que Dieu ne l’emplissait pas.
Il était né dans des jours sombres,
Dans une vallée au couchant,
Où la montagne aux grandes ombres
Verse la nuit en se penchant.
Les pins sonores de Savoie
Avaient secoué sur son front
Leur murmure, sa triste joie,
Et les ténèbres de leur tronc.
Ainsi que ces arbres sublimes,
Sur les Alpes multipliés,
Qui portent l’aube sur leurs cimes
En couvant la nuit à leurs pieds,
Son âme nuageuse et sombre,
Trop haute pour ce vil séjour,
Laissant tout le ...
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