The Project Gutenberg EBook of Aline et Valcour, tome 1, by D.A.F. de SadeThis eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.netTitle: Aline et Valcour, tome 1 ou le roman philosophiqueAuthor: D.A.F. de SadeRelease Date: October 16, 2005 [EBook #16885]Language: FrenchCharacter set encoding: ISO-8859-1*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALINE ET VALCOUR, TOME 1 ***Produced by Anne Dreze and Marc D'Hooghe.From images generously made available by Gallica(Biblioth que Nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.�ALINE ET VALCOUR, ouLE ROMAN PHILOSOPHIQUE.parD.A.F. DE SADE * * * * *TOME PREMIER.PREMI�RE PARTIE.[Illustration: J' tais le seul coupable, h l�as! �c'�tait � moi de succomber.] * * * * *ALINE ET VALCOUR, ouLE ROMAN PHILOSOPHIQUE.�crit � la Bastille un an avant la R volution de France �ORN� DE SEIZE GRAVURES.1795. * * * * * Nam veluti pueris absinthia tetra medentes, Cum dare conantur prius oras pocula circum Contingunt mellis dulci flavoque liquore, Ut puerum aetas improvida ludificetur Labrorum tenus; interea perpotet amarum Absinthy laticem deceptaque non capiatur, Sed potius tali tacta recreata ...
The Project Gutenberg EBook of Aline et Valcour, tome 1, by D.A.F. de Sade
This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: Aline et Valcour, tome 1 ou le roman philosophique
Author: D.A.F. de Sade
Release Date: October 16, 2005 [EBook #16885]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALINE ET VALCOUR, TOME 1 ***
Produced by Anne Dreze and Marc D'Hooghe.
From images generously made available by Gallica (Biblioth�que Nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.
ALINE ET VALCOUR,
ou
LE ROMAN PHILOSOPHIQUE.
par
D.A.F. DE SADE
* * * * *
TOME PREMIER.
PREMI�RE PARTIE.
[Illustration: J'�tais le seul coupable, h�las! c'�tait�moi de succomber.]
* * * * *
ALINE ET VALCOUR,
ou
LE ROMAN PHILOSOPHIQUE.
�crit�la Bastille un an avant la R�volution de France
ORN�DE SEIZE GRAVURES.
1795.
* * * * *
Nam veluti pueris absinthia tetra medentes, Cum dare conantur prius oras pocula circum Contingunt mellis dulci flavoque liquore, Ut puerum aetas improvida ludificetur Labrorum tenus; interea perpotet amarum Absinthy laticem deceptaque non capiatur, Sed potius tali tacta recreata valescat.
Luc. Lib. 4.
* * * * *
AVIS DE L'�DITEUR.
C'est avec raison que l'on peut regarder la collection de ces lettres comme un des plus piquans ouvrages qui ait paru depuis longtems; jamais, on peut le dire, des contrastes aussi singuliers ne furent trac�s par le m�me pinceau, et si la vertu s'y fait adorer par la mani�re int�ressante et vraie dont elle est pr�sent�e, assur�ment les couleurs effroyables dont on s'est servi pour peindre le vice ne manqueront pas de le faire d�tester; il est difficile de le mettre en sc�ne sous une plus effroyable phisionomie. De l'assemblage de tant de diff�rens caract�res, sans cesse aux prises les uns avec les autres, devaient r�sulter des aventures inou�es; aussi pouvons-nous assurer qu'aucune anecdotes r�elles ..., qu'aucun m�moires, qu'aucun romans, n'en contient de plus singuli�res, et nulle part, sans doute, on ne verra l'int�r�t cro�tre, et se soutenir, avec autan d'adresse et de chaleur. Ceux qui aiment les voyages trouveront�se satisfaire, et l'on peut les assurer que rien n'est exact comme les deux diff�rens tours du monde, fait en sens contraires par Sainville et par L�onore . Personne n'est encore _ _ _ _ parvenu au royaume de Butua , situ�au centre de l'Afrique; notre _ _ auteur seul a p�n�tr�barbares: ici ce n'est plus undans ces climats roman, ce sont les notes d'un voyageur exact, instruit, et qui ne raconte que ce qu'il a vu; si par des fictions plus agr�ables il veut� Tamo�consoler ses lecteurs des cruelles v�rit�s qu'il a�t�oblig�de _ _ peindre� Butua , doit-on lui en savoir mauvais gr�! Nous ne voyons _ _ qu'une chose de malheureuse�cela, c'est que tout ce qu'il y a de plus affreux soit dans la nature, et que ce ne soit que dans le pays des chim�res que se trouve seulement le juste et le bon. Quoiqu'il en soit, le contraste de ces deux gouvernemens plaira sans doute, et nous sommes bien parfaitement convaincus de l'int�r�t qu'il doit produire. Nous attendons le m�me effet de la liaison de tous les personnages�tablis dans ces lettres, et du rapport, plein d'art, que les uns ont avec les autres; malgr�leur�tonnante disproportion. Leurs principes devaient �tre oppos�s comme leur phisionomie, et si l'on s'est permis d'en �tablir de bien forts, cela n'a jamais�t�que pour faire voir avec quel ascendant, et en m�me-tems avec quelle facilit�le langage de la vertu pulv�rise toujours les sophismes du libertinage et de l'impi�t�. L'id�e
d'adoucir, et quelques discours et quelques nuances, s'est plus d'une fois pr�sent�e, nous en convenons; mais l'aurions-nous pu sans affaiblir? Ah! quelque prononc�que soit le vice, il n'est jamais� craindre que pour ses sectateurs, et s'il triomphe il n'en fait que plus d'horreur�la vertu: rien n'est dangereux comme d'en adoucir les teintes; c'est le faire aimer que de le peindre�la mani�re de Cr�billon, et manquer par cons�quent le but moral que tout honn�te homme doit se proposer en�crivant.
Ce que cet ouvrage�de singulier encore, c'est d'avoir�t�fait�la bastille. La mani�re dont,�cras�par le despotisme minist�riel, notre auteur pr�voyait la r�volution, est fort extraordinaire, et doit jeter sur son ouvrage une nuance d'int�r�t bien vive. Avec tant de droit� exciter la curiosit�du public, avec un style pur, toujours fleuri, par tout original; avec la r�union dans le m�me ouvrage de trois genres: _ _ comique, sentimental et�rotique ; nous sommes bien s�rs que cette �dition va nous�tre enlev�e sur-le-champ; demand�e de toutes parts, parce qu'on conna�t la plume de l'auteur;�peine en pourrons nous r�pandre�Paris, et nous sentons d�j�le regret de ne l'avoir pas multipli�e d'avantage. Nous exhortons ceux qui n'auront pu s'en procurer des exemplaires�prendre un peu de patience, la seconde�dition est d�j�sous nos presses.
Cependant nous aurons des critiques, des contradicteurs et des ennemis, nous n'en doutons pas;
C'est un danger d'aimer les hommes, _ _ _ _ C'est un tort de les�clairer.
Tan pis pour ceux qui condamneront cet ouvrage, et qui ne sentiront pas dans quel esprit il a�t�fait: esclaves des pr�jug�s et de l'habitude, ils feront voir que rien n'agit en eux que l'opinion, et que le flambeau de la philosophie ne luira jamais�leurs yeux.
* * * * *
ESSENTIEL A LIRE.
_ L'auteur croit devoir pr�venir qu'ayant c�d�son manuscrit lorsqu'il sortit de la Bastille, il a�t�par ce moyen hors d'�tat de le retoucher; comment d'apr�s cet inconv�nient, l'ouvrage�crit depuis sept ans, pourrait-il�tre�l'ordre du jour ? Il prie donc ses lecteurs de _ _ se reporter�l'�poque o�il a�t�compos�, et ils y trouveront alors des choses bien extraordinaires; il les invite�galement�ne le juger qu'apr�s l'avoir bien exactement lu d'un bout�l'autre; ce n'est ni sur la phisionomie de tel ou tel personnage, ni sur tel ou tel syst�me isol�, qu on peut asseoir son opinion sur un livre de ce genre; l'homme _ impartial et juste ne prononcera jamais que sur l'ensemble.
* * * * *
ALINE ET VALCOUR.
* * * * *
LETTRE PREMI�RE.
_ _ D�terville�Valcour .
Paris, 3 Juin 1778.
Nous soup�mes hier, Eug�nie et moi, chez ta divinit�, mon cher Valcour.... Que faisais-tu?... Est-ce jalousie?... Est-ce bouderie?... Est-ce crainte?... Ton absence fut pour nous une�nigme, qu'Aline ne put ou ne voulut pas nous expliquer, et dont nous e�mes bien de la peine� comprendre le mot. J'allais demander de tes nouvelles, quand deux grands yeux bleus respirant�la fois l'amour et la d�cence, vinrent se fixer sur les miens, et m'avertir de feindre.... Je me tus; peu apr�s je m'approchai; je voulus demander raison du myst�re. Un soupir et un signe de t�te furent les seules r�ponses que j'obtins. Eug�nie ne fut pas plus heureuse; nous ne press�mes plus; mais madame de Blamont soupira, et je l'entendis: c'est une m�re d�licieuse que cette femme, mon ami; je doute qu'il soit possible d'avoir plus d'esprit, une�me plus sensible, autant de gr�ces, dans les mani�res, autant d'am�nit�dans les moeurs. Il est bien rare qu'avec autant de connaissances, on soit en m�me-tems si aimable. J'ai presque toujours remarqu�que les femmes instruites ont dans le monde une certaine rudesse, une sorte d'appr�t qui fait acheter cher le plaisir de leur soci�t�. Il semble qu'elles ne veuillent avoir de l'esprit que dans leur cabinet, ou que n'en trouvant jamais assez dans ceux qui les entourent, elles ne daignent pas s'abaisser, jusqu'� montrer celui qu'elles poss�dent.
Mais combien est diff�rente de ce portrait l'adorable m�re de ton Aline! En v�rit�, je ne m'�tonnerais pas qu'une telle femme, quoi-qu'�g�e de trente-six ans, f�t encore de grandes passions.
Pour M. de Blamont, pour cet indigne�poux d'une trop digne femme, il fut tranchant, syst�matique, et bourru comme s'il e�t si�g�sur les fleurs de lys; il se d�cha�na contre la tol�rance, fit l'apologie de la torture, nous parla avec une sorte de jouissance d'un malheureux que ses confr�res et lui faisaient rouer le lendemain; nous assura que l'homme �tait m�chant par nature, qu'il n'�tait rien qu'on ne d�t faire pour l'encha�ner; que la crainte�tait le plus puissant ressort des monarchies, et qu'un tribunal charg�de recevoir des d�lations,�tait un chef-d'oeuvre de politique. Ensuite il nous entretint d'une terre qu'il venait d'acheter, de la sublimit�de ses droits, et sur-tout du projet qu'il a d'y rassembler une m�nagerie, dont je te r�ponds bien qu'il sera la plus m�chante b�te.
Il arriva, quelques minutes avant de servir, une autre esp�ce d'individu court et quarr�, l'�chine orn�e d'un juste-au-corps de drap olive, sur lequel r�gnait, du haut en bas, une broderie large de huit pouces, dont le dessin me parut�tre celui que Clovis avait sur son manteau royal. Ce petit homme poss�dait un fort grand pied affubl�sur de hauts talons, au moyen desquels s'appuyaient deux jambes�normes. En cherchant� rencontrer sa taille, on ne trouvait qu'un ventre; d�sirait-on une id�e de sa t�te? on n'apercevait qu'une perruque et une cravate, du milieu desquelles s'�chappait, de tems�autre, un fausset discordant qui laissait�soup�onner si le gosier dont il�manait,�tait effectivement celui d'un humain, ou d'une vieille perruche. Ce ridicule mortel absolument conforme�l'esquisse que j'en trace, se fit annoncer M. d'Olbourg. Un bouton de rose qu'Aline, au m�me instant, jetait� Eug�nie, vint troubler malheureusement les loix de l'�quilibre que s'�tait impos�es le personnage, pour en d�duire sa r�v�rence d'entr�e. Il heurta le bouton de rose, et d�finitivement nous arriva par la t�te. Ce choc inattendu, cet�branlement subit des masses, avait un peu d�rang�les attraits factices; la cravate vola d'un c�t�, la perruque de l'autre, et le malheureux ainsi r�pandu et d�garni, excita dans ma folle Eug�nie une attaque de rire�tel point spasmodique, qu'on fut oblig�de l'emporter dans un cabinet voisin o�je crus qu'elle s'�vanouirait....
Aline se contint; le Pr�sident se f�cha; M. de Blamont se mordait les l�vres pour ne pas�clater, et se confondait en marques d'int�r�t.... Deux laquais ramasserent le petit homme qui, semblable�une tortue retourn�e, ne pouvait plus reprendre l'�lasticit�n�cessaire�se r�tablir sur son plat. On le rembo�ta dans sa perruque; la cravate fut artistement renou�e; Eug�nie reparut, et l'annonce du souper vint heureusement tout remettre en ordre, en obligeant chacun�ne plus s'occuper que d'une m�me id�e.
Les politesses marqu�es du Pr�sident au petit homme, l'assurance ult�rieure que je re�us, qu'il avait cent mille�cus de rente, ce que j'aurais pari�sur sa figure; la contrainte d'Aline, l'air souffrant de madame de Blamont, les efforts qu'elle faisait pour dissiper sa chere fille, pour emp�cher qu'on ne s'aper��t de la g�ne dans laquelle elle �tait; tout me convainquit que ce malheureux traitant�tait ton rival, et rival d'autant plus�craindre, qu'il me parut que le Pr�sident en �tait engou�.
O mon ami, quel assemblage!... Unir�un mortel si prodigieusement ridicule, une jeune fille de dix-neuf ans, faite comme les Gr�ces, fra�che comme H�b�, et plus belle que Flore! A la stupidit�m�me oser sacrifier l'esprit le plus tendre et le plus agr�able; adapter�un volume�pais de matiere l'�me la plus d�li�e* et la plus sensible; joindre�l'inactivit�la plus lourde, un�tre p�tri de talens, quel attentat, Valcour!... Oh non, non ... ou la Providence est insensible, ou elle ne le permettra jamais.... Eug�nie devint sombre si-t�t qu'elle soup�onna le forfait. Folle,�tourdie, un peu m�chante m�me, mais pr�te �donner son sang�l'amiti�, elle passa rapidement de la joie�la plus extr�me col�re, d�s que je lui eus fait part de mes soup�ons.... Elle regarda son amie, et des larmes coul�rent sur ces joues de roses que venait d'�panouir la ga�t�. Elle engagea sa m�re�se retirer de bonne heure; elle n'y pouvait tenir, et si ce forfait�tait r�el, il n'y avait rien, disait-elle en frappant des pieds, qu'elle ne fit pour l'emp�cher. Mais Aline s'obstinait au silence ... madame de Blamont ne faisait que soupirer quand je l'interrogeais; et nous nous retir�mes.
Voil�, mon cher Valcour, l'�tat dans lequel j'ai laiss�les choses; tu dois�ma sinc�re amiti�de m'instruire de tout ce que tu peux savoir de plus; attends tout de la mienne, de celle d'Eug�nie, et sois convaincu que le bonheur qui s'apr�te pour nous, ne peut r�ellement�tre parfait, tant que nous supposerons des obstacles�celui d'Aline et au tien.
* * * * *
LETTRE SECONDE.
_ _ Aline�Valcour .
6 Juin.
De quelles expressions me servir? Comment adoucirai-je le coup qu'il faut que je vous porte? Mes sens se troublent, ma raison m'abandonne, je n'existe plus que par le sentiment de ma douleur.... Pourquoi vous ai-je vu? pourquoi ces traits charmans ont-ils p�n�tr�dans mon�me? Pourquoi m'avez-vous entra�n�e dans l'ab�me avec vous? H�las! que nos instans de bonheur ont�t�courts! Qui sait, grand Dieu! qui sait quelles sont les bornes de ceux qui doivent les suivre? Mon ami, il faut ne nous plus voir.... Le voil�dit, ce mot cruel; j'ai pu le tracer sans mourir!... Imitez mon courage. Mon p�re a parl�en ma�tre, il veut�tre ob�i. Un parti se pr�sente, ce parti lui convient, cela suffit; ce n'est pas mon aveu qu'il demande, c'est son int�r�t qu'il consulte, et le sacrifice
entier de tous mes sentimens doit�tre fait�ses caprices. N'accusez point ma m�re, il n'y a rien qu'elle n'ait dit, rien qu'elle n'ait fait, rien qu'elle n'imagine encore.... Vous savez comme elle aime sa fille, et vous n'ignorez pas non plus les sentimens de tendresse qu'elle �prouve pour vous.... Nos larmes se sont m�l�es.... Le barbare les a vues, et n'en a point�t�attendri.... O mon ami! je crois que l'habitude de juger les autres, rend n�cessairement dur et cruel.�C'est un parti convenable, madame, a-t-il dit en fureur�ma m�re: je ne souffrirai point que ma fille le manque. d'Olbourg est mon ami depuis vingt-cinq ans, et il a cent mille�cus de rente; toutes vos petites consid�rations peuvent-elles balancer un argument de cette force? Epouse-t-on par amour aujourd'hui?... C'est par int�r�t, ces seules lois doivent assortir les noeuds de l'hymen; h�, qu'importe de s'aimer, pourvu qu'on soit riche! L'amour donne-t-il de la consid�ration dans le monde? Non, en v�rit�, madame, c'est la fortune, et l'on ne vit point sans consid�ration. D'ailleurs, qu'a donc mon ami d'Olbourg pour inspirer de l'�loignement�votre fille? (Oh, Valcour, je voudrais que vous le vissiez!) Est-ce parce que ce n'est pas un de ces freluquets du jour, qui, faisant croire�une jeune personne qu'ils en sont�pris uniquement parce qu'ils la savent riche,�pousent la dot et laissent la fille? ou peut-�tre ce sont les talens et l'esprit qui vous s�duisent. Quoi! parce qu'un homme aura fait quelques com�dies, quelques �pigrammes, qu'il aura lu Hom�re et Virgile, il poss�dera, de ce moment, tout ce qu'il faut pour faire le bonheur de votre fille!�
Vous voyez, mon ami, sur qui tombait ce dernier sarcasme; mais le cruel craignant que nous ne l'eussions pas encore entendu:�Je vous prie r�pliqua-t-il, en col�re, madame, d'�crire sur-le-champ�M. de Valcour que ses visites m'honorent infiniment, sans doute, mais qu'il m'obligera pourtant de les supprimer; je ne veux pas donner ma fille�un homme qui n'a rien.--Sa naissance, reprit ma m�re, vaut mieux que la mienne.--Je le sais bien, madame; voil�toujours l'orgueil des filles de condition; avec elles la naissance fait tout. Voulez-vous que ma fille�prouve avec son Valcour ce qui m'est arriv�avec vous? Epouser du parchemin?... A quoi me sert, je vous prie, celui que vous m'avez donn�?... J'aimerais mieux vingt-cinq mille francs par an, que toutes ces g�n�alogies, qui comme les vers phosphoriques, ne brillent que par l'obscurit�, ne sont illustres que parce qu'on n'en voit pas l'origine, et dont on peut dire tout ce qu'on veut, parce que le bout manque. Valcour est d'une bonne maison, je le sais, il a de plus un puissant m�rite�vos yeux, il est passionn�pour les belles-lettres; mais moi, que cette consid�ration touche fort peu ... je veux de l'argent, et il n'a pas le sou. Voil�sa sentence, apprenez-la lui, je vous le conseille�. A ces mots, il a disparu, et nous a laiss�es, ma m�re et moi, dans les larmes. Cependant mon ami, car il faut que je r�pande un peu de baume sur les blessures que je viens de faire, l'espoir n'est pas encore banni de mon coeur, et cette m�re respectable, que j'idol�tre, et qui vous aime, me charge positivement de vous dire qu'elle ne veut pas que vous vous d�sesp�riez.... Elle est presque s�re d'obtenir du tems, et dans des circonstances commes celles o�nous sommes, le tems fait beaucoup. Rendez-vous donc aux ordres de mon p�re; ne venez plus, mais �crivez-nous. Une affaire de la plus grande importance encha�nera le Pr�sident�Paris tout l'�t�, et je crois que ma m�re obtiendra d'aller passer cette saison seule avec moi dans sa petite terre de Vert-feuille, pr�s d'Orl�ans; unique bien qu'elle ait apport��mon p�re, qui comme vous voyez, le lui reproche assez cruellement[1]. Son but est d'obtenir du Pr�sident de ne rien pr�cipiter; elle se chargera, dit-elle, de me disposer�tout, et de vaincre mes r�pugnances, pourvu qu'on ne presse rien, et qu'on nous laisse passer quelques mois toutes deux solitairement�Vert-feuille.... Mon ami, si elle l'obtient, je vous avoue que je regarderai cela comme une demi-victoire; le tems est tout dans d'aussi terribles crises, c'est tout avoir que d'en obtenir.
Adieu, ne vous alarmez pas, aimez moi, pensez�moi,�crivez-moi ... que
je remplisse tous vos momens comme vous occupez tout mon coeur.... O mon ami! il faudrait bien peu de choses, vous le voyez, pour nous s�parer� jamais; mais ce qui me console au moins dans mon malheur, c'est la certitude o�je suis qu'aucune force divine ou humaine, ne parviendrait �m'emp�cher de vous aimer.
Note:
[Footnote 1: Cette terre vaut seize mille livres de rente, elle avoit�t�la seule dot de madame de Blamont, mais il existait dans le contrat qu'elle se marierait s�par�e de bien; cette clause et ce m�diocre revenu, relativement�la fortune immense de M. de Blamont,�taient les deux motifs de ses reproches.]
* * * * *
LETTRE TROISI�ME.
_ _ Valcour�Aline .
7 Juin.
Oui, je l'ai lu ce mot cruel.... J'ai re�u le coup qui doit briser ma vie, et toutes les facult�s qui la composent ne se sont point an�anties! O mon Aline! quel art avez-vous donc mis�me le porter? vous me donnez la mort, et vous voulez que je vive!... vous d�truisez l'espoir et vous le ranimez!...non je ne mourrai point.... Je ne sais quelle voix se fait entendre au fond de mon coeur.... Je ne sais quel organe secret semble m'avertir de vivre et que tous les instans de la f�licit�ne sont pas encore�teints pour moi ... non je ne sais quel il est, ce mouvement, mais je lui c�de ... ne plus vous voir, Aline!... ne plus m'enivrer, dans ces jeux que j'adore, du sentiment d�licieux de mon amour!... est-ce bien vous qui me l'ordonnez?... ah! qu'ai-je donc fait pour m�riter un tel sort?... moi renoncer au charme de vous poss�der un jour! mais non ... vous ne me le dites pas. Mon malheur accro�t mon inqui�tude; il nourrit encore les chim�res que vos paroles consolantes cherchent�rendre moins affreuses; il ne faut que du tems dites-vous; du tems, Aline!... oh ciel! songez-vous quel il est, celui que l'on passe, loin de ce qu'on aime?... o�l'on ne peut plus entendre sa voix, o�l'on ne jouit plus de ses regards; n'est-ce pas ordonner�un homme d'exister en se s�parant de son�me?... J'�tais pr�venu de ce coup fatal, D�terville m'y avait pr�par�... mais j'ignorais que les choses fussent si avanc�es, et sur-tout que votre p�re exigerait que je ne vous visse plus.... Et qui donc a pu l'instruire de nos secrets? Ah! peut-on se cacher quand on aime? S'il a d�rob�nos regards, il aura surpris notre amour ... que ferai-je, h�las! pendant cette terrible absence ... que voulez-vous que je devienne? au moins si j'avais pu vous voir encore une fois ... une seule fois avant cette funeste s�paration!... si j'avais pu vous dire combien je vous aime ... il me semble que je ne vous l'ai jamais dit ... oh non, je ne vous l'ai jamais dit, comme je l'�prouve ... et comment aurai-je r�ussi? quel mot aurait pu rendre ce feu divin qui me d�vore? Tant�t an�anti par la force m�me de ce sentiment qui m'absorbe ... tant�t br�l�par vos regards ... mon�me �prouvait, sans pouvoir peindre; toutes les expressions me paraissaient trop faibles ... et maintenant je me d�sole, d'avoir tant perdu d'occasions ou de les avoir si mal employ�es. Comme je vais les d�plorer ces momens si courts et si doux! Aline, Aline, croyez-vous donc que je puisse vivre sans les retrouver? Et cependant vous pleurerez ... votre �me sera noy�e dans la douleur, et je n'en pourrai partager les angoisses!... Qu'il ne se fasse pas au moins, ce cruel hymen.... Je
regarde ce que vous dites comme un serment qu'il ne se consommera jamais ... le barbare, il vous sacrifie ... et�quoi? ...�son ambition,� son int�r�t ... et il ose encore trouver des sophismes pour appuyer ses affreux syst�mes!... L'amour, dit-il, ne fait pas le bonheur dans les noeuds de l'hymen, et que sont-ils donc ces noeuds, quand l'amour ne les forme pas? Un pacte mercenaire et vil, un trafic honteux de fortunes et de noms, qui n'encha�nant que les personnes, laissent les coeurs�tout le d�sordre du d�sespoir et du d�pit. Que deviennent alors ces biens qu'on a recherch�s? Les m�nage-t-on pour des enfans qui ne sont plus que le fruit du hasard ou de l'int�r�t? On les dissipe, on les perd plus promptement encore qu'ils ne se sont acquis, et le besoin que chacun des deux a de secouer la cha�ne qui le presse, ouvre l'ab�me�pouvantable qui les engloutit en un jour. O�se trouve donc alors et le profit et le bonheur de ces mariages de convenance, puisque ces m�mes fortunes, qui en ont form�les noeuds, s'an�antissent ou pour les rel�cher ou pour les dissoudre?
Mais se flatter de rappeler votre p�re�des opinions raisonnables, c'est entreprendre de faire remonter un fleuve�sa source. Ind�pendamment des pr�jug�s de son�tat, pr�jug�s cruellement odieux sans doute, il a encore ceux (passez-moi le terme) d'une t�te�troite et d'un coeur froid, et l'erreur est trop ch�re�ces sortes de gens pour esp�rer de les en faire revenir.
Que madame de Blamont est respectable dans tout ceci ... et combien je l'adore! quelle conduite, quelle sagesse! quel amour pour vous! adorez-la cette m�re tendre, vous n'�tes form�e que de son sang.... Il est impossible, il est moralement impossible qu'une seule goutte de celui de cet homme cruel puisse couler dans vos veines.... Tendre et divine amie de mon coeur, que j'aime�m'imaginer quelques-fois que vous n'avez re�u l'existence dans le sein de cette m�re adorable que par le souffle de la divinit�; la mythologie des Grecs n'admettait-elle pas ces sortes d'existences? Ne les avons-nous pas re�ues dans nos opinions religieuses? Mais il e�t fallu un miracle.... Et pour qui, grand Dieu! pour qui la nature en fera-t-elle, si ce n'est pas pour mon Aline.... N'en est-elle pas un elle-m�me?... Laissez-la moi, cette opinion, ma divine amie, elle me console.... Elle ajoute, ce me semble, encore au culte que je vous dois.... Oui, Aline ... oui, vous�tes fille d'un dieu, ou plut�t vous�tes un dieu vous-m�me, et c'est par vos regards que la nature enti�re re�oit l'existence; vous purifiez tout ce qui vous touche, vous vivifiez tout ce qui vous entoure; la vertu n'est douce qu'aupr�s de vous, on ne la conno�t qu'o�vous�tes; soutenue par l'empire de la beaut�, c'est sous vos traits qu'elle captive, c'est par vous qu'elle s�duit: et je ne me sens jamais si honn�te que lorsque je vous approche ou que je vous quitte. Qui ranimera maintenant dans mon coeur ces sentimens qui naissaient pr�s de vous ... qui me fortifiaient dans le reste de ma vie?... Mon�me va se fl�trir s�par�e de la v�tre, elle va devenir comme ces fleurs qui se dess�chent�mesure que s'�loignent d'elles les rayons de l'astre qui les fit�clore.... O ma ch�re Aline! il n'est plus un instant de f�licit�pour moi sur la terre.... Mais je vous�crirai du moins.... Vous me le permettez?... Je le pourrai.... H�las! c'est une consolation sans doute, mais qu'elle est loin de celle que je d�sire ... qu'elle est loin de celle qu'il me faut.... Et quand sera-t-il ce voyage? quoi, je ne vous verrai pas avant qu'il s'entreprenne, et pour la premi�re fois de ma vie, depuis trois ans que je vous connais, je passerais une saison enti�re�loign�de vous?... Ordre barbare! ... p�re cruel! adoucissez-le, Aline, ce terrible et funeste arr�t.... Que je puisse vous voir encore un seul jour ... une seule heure, h�las! je ne veux que cela pour vivre un an; je recueillerai dans cette heure pr�cieuse, tout ce que mon�me aura besoin de sentimens pour la faire exister des si�cles. M�re adorable, souffrez que je vous implore, c'est�vos pieds que cette gr�ce est demand�e.... Rappelez cette indulgence si active et si tendre, qui vous caract�rise sans cesse; cette bont�, cette humanit�qui vous rend si
sensible au sort amer de l'infortune. H�las! vous n'aurez jamais secouru de malheureux dont les maux fussent plus cuisans. Que la nature m'accable de tous ceux qu'elle voudra; mais qu'elle me laisse les yeux d'Aline et son coeur.... J'attends votre r�ponse; je l'attends comme les criminels attendent le coup de la mort. Ah! si je la crains, c'est que je la devine.... Mais une heure, Aline,... une seule heure ... ou vous ne m'avez jamais aim�.... Au moins�loignez cet homme ... qu'il n'aille pas avec vous,�la campagne.... Je ne vous dis pas de refuser ses noeuds qu'on vous offre avec lui.... Non, Aline, je ne vous le dis point; il est de certains cas o�la recommandation m�me est un outrage, et je crois que c'est dans celui-ci. Oui, j'ose�tre s�r de vous, parce que je vous aime, parce que vous m'avez dit que je ne vous�tais pas indiff�rent, et que vous ne voudriez pas arracher le coeur de votre ami.
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LETTRE QUATRI�ME
Aline�Valcour . _ _
9 Juin.
Je vous sais gr�de votre r�signation, mon ami, quoiqu'elle ne soit pas tr�s-enti�re; n'importe, n'abusez pas de ce que je vais vous dire, mais ma reconnaissance e�t�t�moindre si vous eussiez ob�i de meilleur coeur. Que vos peines s'adoucissent,�mon cher Valcour, par la certitude que je les partage. Je ne sais ce que ma m�re a dit�son mari, mais M. d'Olbourg n'a point reparu depuis le soir o�il soupa ici, et j'ai cru lire moins de s�v�rit�dans les yeux de mon p�re; n'allez pas croire qu'il r�sulte de-l�que ses premiers projets se soient an�antis, je vous aime trop sinc�rement pour laisser germer dans votre coeur une esp�rance qu'il ne faudrait que trop t�t perdre. Mais les choses ne seront pas, au moins, aussi prochaines que je le craignais, et dans une circonstance comme celle o�nous sommes, je vous le r�p�te, c'est tout obtenir que d'avoir des d�lais.
Notre voyage�Vert-feuille est d�cid�: mon p�re trouve bon que nous allions, ma m�re et moi, y passer la belle saison, ses affaires l'obligeant�rester tout l'�t��Paris: il nous laissera seules et tranquilles; mais je ne vous cache pas, mon ami, qu'une des clauses de cette permission est que vous n'y para�trez pas. Jugez, d'apr�s cette s�v�rit�, s'il serait possible de vous accorder l'heure que vous sollicitez avec tant d'instance?
A l'envie que ma m�re avait de savoir du Pr�sident par quelle raison vous lui�tiez devenu, dans l'instant, si suspect, il a r�pondu:
�Qu'il ne s'�tait jamais imagin�, quand on vous pr�senta chez lui, que vous osassiez porter vos vues sur sa fille; qu'au seul titre de _ _ connaissance et d'ami de soci�t�, il n'avait pas mieux demand�que de vous accueillir; mais que s'�tant enfin aper�u de nos sentimens mutuels, cette fatale homme tr�s-riche, et son ami depuis longtems�.
Ma m�re, tr�s-contente de l'amener peu-�-peu�une explication, sans combattre absolument son projet, lui a demand�les motifs de son �loignement pour vous. Le peu de fortune est devenu tout de suite son argument indestructible, et ne pouvant, disait-il, vous refuser des qualit�s (comme si son orgueil e�t�t�d�sol�d'un aveu qu'il lui�tait impossible de ne pas faire), il s'est rejet�d'abord sur vos d�fauts, et celui qu'il vous reproche, avec le plus d'amertume, est le manque d'ambition, la nonchalance�tonnante dont vous�tes pour votre fortune
et le tort affreux que vous avez eu, selon lui, de quitter si jeune le service. A cela, ma m�re a voulu opposer vos talens, votre amour pour les lettres, qui absorbant tout autre go�t, vous a, pour ainsi dire, isol�, afin d'�tudier plus�l'aise. Ici, le Pr�sident, ennemi capital de tout ce qui s'appelle beaux-arts , s'est enflamm�de nouveau....�Et _ _ que font ces mis�res l�au bonheur de la vie? Madame, a-t-il r�pliqu� avec humeur, avez-vous vu depuis que vous existez, les arts, ou m�me les sciences faire la fortune d'un seul homme?... Pour moi, je ne l'ai pas vu: ce n'est plus, comme autrefois, avec une hypoth�se, un syllogisme, un sonnet ou un madrigal, qu'on se produit dans le monde, et qu'on parvient�tout; les Horaces ne trouvent plus de M�c�nes, et les Descartes ne rencontrent plus de Christines. C'est de l'argent, Madame, c'est de l'argent qu'il faut. Telle est la seule clef des places et des honneurs, et votre cher Valcour n'en a point. Jeune, de l'esprit, une _ sorte de m�rite .... Remarquez, mon ami, la petite joie vaine avec _ _ _ laquelle il a bien voulu vous accorder une sorte de m�rite .... Avec cet avantage, a-t-il continu�, que ne s'avan�ait-il? Le temple de la Fortune est ouvert�tout le monde; il ne s'agit que de ne pas se laisser repousser par la foule qui vous coudoie, et qui veut y arriver avant vous.... A trente ans, avec de la figure, le nom qu'il porte, et les alliances qu'il peut r�clamer, il serait aujourd'hui mar�chal-de-camp, s'il l'e�t voulu.�
Oh! mon ami, je vous en demande pardon; mais ces reproches ne sont-ils pas m�rit�s? N'imaginez pas que mon coeur vous les fasse. Que ne suis-je ma�tresse de ma main! Que ne puis-je vous prouver�l'instant combien ces pr�jug�s sont vils�mes yeux; mais, mon ami, cent fois vous me l'avez dit vous-m�me, la consid�ration est n�cessaire dans le monde, et si ce public est assez injuste pour ne vouloir l'accorder qu'aux honneurs, l'homme sage qui con�oit l'impossibilit�de vivre sans elle, doit donc tout faire pour acqu�rir ce qui la m�rite.
Ne seroit-il pas entr�un peu de d�go�t, un peu de misanthropie dans cette insouciance qui vous est reproch�e? Je veux que vous m'�claircissiez tout cela, mais non pas en vous justifiant; songez que vous parlez�la meilleure amie de votre coeur.
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LETTRE CINQUI�ME.
_ _ Valcour�Aline .
12 Juin.
Oui, mon Aline, j'ai tort, et vous me le faites sentir; la confiance est la plus douce preuve de l'amour, et j'ai l'air de vous l'avoir refus�e, en ne vous racontant pas les malheurs de ma vie; mais ce silence de ma part, depuis le temps que je vous connais, a sa source dans deux principes que vous ne bl�merez pas: la crainte de vous ennuyer par des r�cits qui n'int�ressent que moi, et la vanit�qui souffre�les faire. On voudrait s'�lever sans cesse aux yeux de ce qu'on aime, et l'on se tait quand ce qu'on peut dire de soi, n'a rien qui doive nous flatter. Si le sort m'e�t li�avec toute autre, peut-�tre eusse-je eu moins d'orgueil; mais vous s�tes m'en inspirer tant, d�s que je crus vous avoir rendu sensible, que vous me f�tes, d�s ce moment, rougir de moi-m�me et de mon audace�placer dans vos fers un esclave aussi peut fait pour vous. Je me sentais si loin de ce qu'il fallait�tre pour vous m�riter, et j'aimai mieux vous laisser croire que j'en�tais digne, que de vous montrer votre erreur.--Maintenant vous exigez des aveux que je voulais taire; ne vous en prenez qu'�vous, s'il s'y rencontre des
motifs de me moins estimer, et que ma franchise ou mon ob�issance me fasse retrouver dans votre coeur ce que la v�rit�m'y fera perdre. Toutes mes fautes pr�c�dent l'instant o�je vous ai vue pour la premi�re fois. H�las! c'est mon unique excuse; je n'ai plus connu que l'amour et la vertu depuis cette heureuse�poque, et comment eusse-je os�depuis souiller par des�carts le coeur o�r�gnait votre image?
HISTOIRE DE VALCOUR.
Je vous parlerai peu de ma naissance; vous la connaissez: je ne vous entretiendrai que des erreurs o�m'a conduit l'illusion d'une vaine origine dont nous nous enorgueillissons presque toujours avec d'autant moins de motifs, que ce bienfait n'est d�qu'au hasard.
Alli�, par ma m�re,�tout ce que le royaume avait de plus grand; tenant, par mon p�re,�tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingu�; n��Paris dans le sein du luxe et de l'abondance, je crus, d�s que je pus raisonner, que la nature et la fortune se r�unissaient pour me combler de leurs dons; je le crus, parce qu'on avait la sottise de me le dire, et ce pr�jug�ridicule me rendit hautain, despote et col�re; il semblait que tout d�t me c�der, que l'univers entier d�mes caprices, et qu'il n'appartenoit qu't flatter � moi seul et d'en former et de les satisfaire; je ne vous rapporterai qu'un seul trait de mon enfance, pour vous convaincre des dangereux principes qu'on laissait germer en moi avec tant d'ineptie.
N�et�lev�dans le palais du prince illustre auquel ma m�re avait l'honneur d'appartenir, et qui se trouvait�-peu-pr�s de mon�ge, on s'empressait de me r�unir�lui, afin qu'en�tant connu d�s mon enfance, je pus retrouver son appui dans tous les instans de ma vie; mais ma vanit�du moment, qui n'entendait encore rien�ce calcul, s'offensant un jour dans nos jeux enfantins de ce qu'il voulait me disputer quelque chose, et plus encore de ce qu'�de tr�s-grands titres, sans doute, il s'y croyait autoris�par son rang, je me vengeai de ses r�sistances par des coups tr�s-multipli�s, sans qu'aucune consid�ration m'arr�t�t, et sans qu'autre chose que la force et la violence pussent parvenir�me s�parer de mon adversaire.
Ce fut�peu pr�s vers ce tems que mon p�re fut employ�dans les n�gociations; ma m�re l'y suivit, et je fus envoy�chez une grand'-m�re en Languedoc, dont la tendresse trop aveugle nourrit en moi tous les d�fauts que je viens d'avouer. Je revins faire mes�tudes�Paris, sous la conduite d'un homme ferme et de beaucoup d'esprit, bien propre sans doute�former ma jeunesse, mais que, pour mon malheur, je ne gardai pas assez long-temps. La guerre se d�clara: empress�de me faire servir, on n'acheva point mon�ducation, et je partis pour le r�giment o�j'�tais employ�, dans l'�ge o�, naturellement encore, on ne devrait entrer qu'� l'acad�mie.
Puisse-t-on r�fl�chir sur le vice dominant de nos principes modernes, puisse-t-on voir que l'objet essentiel n'est pas d'avoir de tr�s-jeunes militaires, mais d'en avoir de bons; et qu'en suivant le pr�jug�actuel, il est parfaitement impossible que cette classe de citoyens si utile puisse jamais�tre parfaite, tant qu'il ne s'agira que d'y entrer jeune, sans savoir si l'on a ce qu'il faut pour y�tre admis, et sans comprendre qu'il est impossible de poss�der les vertus n�cessaires d�s qu'on ne donnera pas aux jeunes aspirans la possibilit�de les acqu�rir par une�ducation longue et parfaite.
Les campagnes s'ouvrirent, et j'ose assurer que je les fis bien. Cette imp�tuosit�naturelle de mon caract�re, cette�me de feu que j'avais re�ue de la nature, ne pr�tait qu'un plus grand degr�de force et d'activit��cette vertu f�roce que l'on appelle courage, et qu'on