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ÉMI LE ZOLA
LE V EN T RE DE P ARIS
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
LE V EN T RE DE P ARIS
1878
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0251-3
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
grand silence , et dans le désert de l’av enue , les v
oitur es de maraîcher s montaient v er s Paris, av e c les cahots r yth-A més de leur s r oues, dont les é chos baaient les façades des
maisons, endor mies aux deux b ords, der rièr e les lignes confuses des or mes.
Un tomb er e au de choux et un tomb er e au de p ois, au p ont de Neuilly ,
s’étaient joints aux huit v oitur es de nav ets et de car oes qui descendaient de
Nanter r e ; et les che vaux allaient tout seuls, la tête basse , de leur allur e
continue et p ar esseuse , que la monté e ralentissait encor e . En haut, sur
la char g e des légumes, allong és à plat v entr e , couv erts de leur limousine
à p etites raies noir es et grises, les char r etier s sommeillaient, les guides
aux p oignets. Un b e c de g az, au sortir d’une napp e d’ ombr e , é clairait les
clous d’un soulier , la manche bleue d’une blouse , le b out d’une casquee ,
entr e v us dans cee floraison énor me des b ouquets r oug es des car oes,
des b ouquets blancs des nav ets, des v erdur es déb ordantes des p ois et des
choux. Et, sur la r oute , sur les r outes v oisines, en avant et en ar rièr e , des
1Le v entr e de Paris Chapitr e I
r onflements lointains de char r ois annonçaient des conv ois p ar eils, tout
un ar rivag e trav er sant les ténèbr es et le gr os sommeil de deux heur es du
matin, b er çant la ville noir e du br uit de cee nour ritur e qui p assait.
Balthazar , le che val de madame François, une bête tr op grasse ,
tenait la tête de la file . Il mar chait, dor mant à demi, do delinant des or eilles,
lor sque , à la hauteur de la r ue de Long champ , un sur saut de p eur le planta
net sur ses quatr e pie ds. Les autr es bêtes vinr ent donner de la tête contr e
le cul des v oitur es, et la file s’ar rêta, av e c la se cousse des fer railles, au
milieu des jur ements des char r etier s ré v eillés. Madame François, adossé e
à une planchee contr e ses légumes, r eg ardait, ne v o yait rien, dans la
maigr e lueur jeté e à g auche p ar la p etite lanter ne car ré e , qui n’é clairait
guèr e qu’un des flancs luisants de Balthazar .
― Eh ! la mèr e , avançons ! cria un des hommes, qui s’était mis à g
enoux sur ses nav ets. . . C’ est quelque co chon d’iv r ogne .
Elle s’était p enché e , elle avait ap er çu, à dr oite , pr esque sous les pie ds
du che val, une masse noir e qui bar rait la r oute .
― On n’é crase p as le monde , dit-elle , en sautant à ter r e .
C’était un homme vautré tout de son long, les bras étendus, tombé la
face dans la p oussièr e . Il p araissait d’une longueur e xtraordinair e , maigr e
comme une branche sè che ; le miracle était que Balthazar ne l’ eût p as
cassé en deux d’un coup de sab ot. Madame François le cr ut mort ; elle
s’accr oupit de vant lui, lui prit une main, et vit qu’ elle était chaude .
― Eh ! l’homme ! dit-elle doucement.
Mais les char r etier s s’imp atientaient. Celui qui était ag enouillé dans
ses légumes r eprit de sa v oix enr oué e :
― Foueez donc, la mèr e !. . . Il en a plein son sac, le sacré p or c !
Poussez-moi ça dans le r uisse au !
Cep endant, l’homme avait ouv ert les y eux. Il r eg ardait madame
François d’un air effaré , sans b oug er . Elle p ensa qu’il de vait êtr e iv r e , en effet.
― Il ne faut p as r ester là , v ous allez v ous fair e é craser , lui dit-elle . . .
Où alliez-v ous ?
― Je ne sais p as. . ., rép ondit-il d’une v oix très-basse .
Puis, av e c effort, et le r eg ard inquiet :
― J’allais à Paris, je suis tombé , je ne sais p as. . .
2Le v entr e de Paris Chapitr e I
Elle le v o yait mieux, et il était lamentable , av e c son p antalon noir ,
sa r e ding ote noir e , tout effilo qués, montrant les sé cher esses des os. Sa
casquee , de gr os drap noir , rabaue p eur eusement sur les sour cils,
découv rait deux grands y eux br uns, d’une singulièr e douceur , dans un
visag e dur et tour menté . Madame François p ensa qu’il était v raiment tr op
maigr e p our av oir bu.
― Et où alliez-v ous, dans Paris ? demanda-t-elle de nouv e au.
Il ne rép ondit p as tout de suite ; cet inter r og atoir e le gênait. Il p ar ut
se consulter ; puis, en hésitant :
― Par là , du côté des Halles.
Il s’était mis deb out, av e c des p eines infinies, et il faisait mine de v
ouloir continuer son chemin. La maraîchèr e le vit qui s’appuyait en
chancelant sur le brancard de la v oitur e .
― V ous êtes las ?
― Oui, bien las, mur mura-t-il.
Alor s, elle prit une v oix br usque et comme mé contente . Elle le p oussa,
en disant :
― Allons, vite , montez dans ma v oitur e ! V ous nous faites p erdr e un
temps, là !. . . Je vais aux Halles, je v ous déballerai av e c mes légumes.
Et, comme il r efusait, elle le hissa pr esque , de ses gr os bras, le jeta sur
les car oes et les nav ets, tout à fait fâché e , criant :
― A la fin, v oulez-v ous nous ficher la p aix ! V ous m’ embêtez, mon
brav e . . . Puisque je v ous dis que je vais aux Halles ! D or mez, je v ous
rév eillerai.
Elle r emonta, s’adossa contr e la planchee , assise de biais, tenant les
guides de Balthazar , qui se r emit en mar che , se r endor mant, do delinant
des or eilles. Les autr es v oitur es suivir ent, la file r eprit son allur e lente
dans le noir , baant de nouv e au du cahot des r oues les façades endor mies.
Les char r etier s r e commencèr ent leur somme sous leur s limousines. Celui
qui avait inter p ellé la maraîchèr e s’allong e a, en gr ondant :
― Ah ! malheur ! s’il fallait ramasser les iv r ognes !. . . V ous av ez de la
constance , v ous, la mèr e !
Les v oitur es r oulaient, les che vaux allaient tout seuls, la tête basse .
L’homme que madame François v enait de r e cueillir , couché sur le v entr e ,
avait ses longues jamb es p erdues dans le tas des nav ets qui emplissaient
3Le v entr e de Paris Chapitr e I
le cul de la v oitur e ; sa face s’ enfonçait au b e au milieu des car oes, dont
les b oes montaient et s’ép anouissaient ; et, les bras élar gis, e xténué ,
embrassant la char g e énor me des légumes, de p eur d’êtr e jeté à ter r e p ar un
cahot, il r eg ardait, de vant lui, les deux lignes inter minables des b e cs de
g az qui se rappr o chaient et se confondaient, tout là-haut, dans un
pullulement d’autr es lumièr es. A l’horizon, une grande fumé e blanche floait,
meait Paris dor mant dans la bué e lumineuse de toutes ces flammes.
― Je suis de Nanter r e , je me nomme madame François, dit la
maraîchèr e , au b out d’un instant. D epuis que j’ai p erdu mon p auv r e homme , je
vais tous les matins aux Halles. C’ est dur , allez !. . . Et v ous ?
― Je me nomme F lor ent, je viens de loin. . ., rép ondit l’inconnu av e c
embar ras. Je v ous demande e x cuse ; je suis si fatigué , que cela m’ est p
énible de p arler .
Il ne v oulait p as causer . Alor s, elle se tut, lâchant un p eu les