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ÉMI LE ZOLA
LA JOI E DE V I V RE
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
LA JOI E DE V I V RE
1884
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0244-5
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
sonnaient au coucou de la salle à mang er ,
Chante au p erdit tout esp oir . Il se le va p éniblement du fauteuil où ilC chauffait ses lourdes jamb es de g oueux, de vant un feu de cok e .
D epuis deux heur es, il aendait madame Chante au, qui, après une
absence de cinq semaines, ramenait ce jour-là de Paris leur p etite cousine
Pauline enu, une or pheline de dix ans, dont le ménag e avait accepté la
tutelle .
― C’ est inconce vable , V ér onique , dit-il en p oussant la p orte de la
cuisine . Il leur est ar rivé un malheur .
La b onne , une grande fille de tr ente-cinq ans, av e c des mains d’homme
et une face de g endar me , était en train d’é carter du feu un gig ot qui allait
êtr e certainement tr op cuit. Elle ne gr ondait p as, mais une colèr e
blêmissait la p e au r ude de ses joues.
― Madame sera r esté e à Paris, dit-elle sè chement. A v e c toutes ces
histoir es qui n’ en finissent plus et qui meent la maison en l’air !
1La joie de viv r e Chapitr e I
― Non, non, e xpliqua Chante au, la dépê che d’hier soir annonçait le
règlement définitif des affair es de la p etite . . . Madame a dû ar riv er ce
matin à Caen, où elle s’ est ar rêté e p our p asser chez D av oine . A une heur e ,
elle r epr enait le train ; à deux heur es, elle descendait à Bay eux ; à tr ois
heur es, l’ omnibus du pèr e Maliv oir e la dép osait à Ar r omanches, et si
même Maliv oir e n’a p as aelé tout de suite sa vieille b erline , madame
aurait pu êtr e ici v er s quatr e heur es, quatr e heur es et demie au plus tard. . .
Il n’y a guèr e que dix kilomètr es d’ Ar r omanches à Bonne ville .
La cuisinièr e , les y eux sur son gig ot, é coutait tous ces calculs, en
hochant la tête . Il ajouta, après une hésitation :
― T u de v rais aller v oir au coin de la r oute , V ér onique .
Elle le r eg arda, plus pâle encor e de colèr e contenue .
― Tiens ! p our quoi ? . . . Puisque monsieur Lazar e est déjà dehor s, à
p ataug er à leur r encontr e , ce n’ est p as la p eine que j’aille me cr oer
jusqu’aux r eins.
― C’ est que , mur mura Chante au doucement, je finis p ar êtr e inquiet
aussi de mon fils. . . Lui non plus ne r ep araît p as. e p eut-il fair e sur la
r oute , depuis une heur e ?
Alor s, sans p arler davantag e , V ér onique prit à un clou un vieux châle
de laine noir e , dont elle s’ env elopp a la tête et les ép aules. Puis, comme
son maîtr e la suivait dans le cor ridor , elle lui dit br usquement :
― Retour nez donc de vant v otr e feu, si v ous ne v oulez p as gueuler
demain toute la jour né e , av e c v os douleur s.
Et, sur le p er r on, après av oir r efer mé la p orte à la v olé e , elle mit ses
sab ots et cria dans le v ent :
― Ah ! Dieu de Dieu ! en v oilà une mor v euse qui p eut se flaer de
nous fair e tour ner en b our rique !
Chante au r esta p aisible . Il était accoutumé aux violences de cee fille ,
entré e chez lui à l’âg e de quinze ans, l’anné e même de son mariag e . Lor
squ’il n’ entendit plus le br uit des sab ots, il s’é chapp a comme un é colier
en vacances et alla se planter , à l’autr e b out du couloir , de vant une p orte
vitré e qui donnait sur la mer . Là , il s’ oublia un instant, court et v entr u,
le teint coloré , r eg ardant le ciel de ses gr os y eux bleus à fleur de tête ,
sous la caloe neig euse de ses che v eux coup és ras. Il était à p eine âg é
de cinquante-six ans ; mais les accès de g oue dont il souffrait l’avaient
2La joie de viv r e Chapitr e I
vieilli de b onne heur e . Distrait de son inquiétude , les r eg ards p erdus, il
song e ait que la p etite Pauline finirait bien p ar fair e la conquête de V ér
onique .
Puis, était-ce sa faute ? and ce notair e de Paris lui avait é crit que
son cousin enu, v euf depuis six mois, v enait de mourir à son tour en
le char g e ant p ar testament de la tutelle de sa fille , il ne s’était p as senti la
for ce de r efuser . Sans doute on ne se v o yait guèr e , la famille se tr ouvait
disp er sé e , le pèr e de Chante au avait jadis cré é à Caen un commer ce de
b ois du Nord, après av oir quié le Midi et bau toute la France , comme
simple ouv rier char p entier ; tandis que le p etit enu, dès la mort de
sa mèr e , était débar qué à Paris, où un autr e de ses oncles lui avait plus
tard cé dé une grande char cuterie , en plein quartier des Halles. Et on
s’était à p eine r encontré deux ou tr ois fois, lor sque Chante au, for cé p ar ses
douleur s de quier son commer ce , avait fait des v o yag es à Paris, afin
de consulter les célébrités mé dicales. Seulement, les deux hommes s’
estimaient, le mourant rê vait p eut-êtr e p our sa fille l’air salubr e de la mer .
Celle-ci d’ailleur s, héritant de la char cuterie , serait loin d’êtr e une char g e .
Enfin, madame Chante au avait accepté , même si viv ement, qu’ elle avait
v oulu é viter à son mari la fatigue dang er euse d’un v o yag e , p artant seule ,
baant le p avé , réglant les affair es, av e c son continuel b esoin d’activité ;
et il suffisait à Chante au que sa femme fût contente .
Mais p our quoi n’ar rivaient-elles p as toutes les deux ? Ses craintes le
r epr enaient, en face du ciel livide , où le v ent d’ ouest emp ortait de grands
nuag es noir s, comme des haillons de suie , dont les dé chir ur es traînaient
au loin dans la mer . C’était une de ces tempêtes de mar s, lor sque les
maré es de l’é quino x e baent furieusement les côtes. Le flot, qui commençait
seulement à monter , ne meait encor e sur l’horizon qu’une bar r e blanche ,
une é cume mince et p erdue ; et la plag e , si lar g ement dé couv erte ce
jourlà , cee lieue de r o cher s et d’algues sombr es, cee plaine rase , salie de
flaques, taché e de deuil, pr enait une mélancolie affr euse , sous le
crépuscule tombant de la fuite ép ouvanté e des nuag es.
― Peut-êtr e bien que le v ent les a chaviré es dans un fossé , mur mura
Chante au.
Un b esoin de v oir le p oussait. Il ouv rit la p orte vitré e , risqua ses
chaussons de lisièr es sur le gravier de la ter rasse , qui dominait le villag e .
3La joie de viv r e Chapitr e I
elques g oues de pluie v olant dans l’ ourag an lui cinglèr ent le visag e ,
un souffle ter rible fit claquer son v eston de gr osse laine bleue . Mais il
s’ entêtait, sans casquee , le dos ar r ondi ; et il vint s’accouder au p arap et,
p our sur v eiller la r oute , en bas. Cee r oute dé valait entr e deux falaises,
on aurait dit un coup de hache dans le r o c, une fente qui avait laissé
couler les quelques mètr es de ter r e , où se tr ouvaient planté es les vingt-cinq à
tr ente masur es de Bonne ville . Chaque maré e semblait de v oir les é craser
contr e la ramp e , sur leur lit étr oit de g alets. A g auche , il y avait un p etit
p ort d’é chouag e , une bande de sable , où des hommes hissaient à cris
régulier s une dizaine de bar ques. Ils n’étaient p as deux cents habitants, ils
vivaient de la mer , fort mal, collés à leur r o cher av e c un entêtement
stupide de mollusques. Et, au-dessus des misérables toits, défoncés chaque
hiv er p ar les vagues, on ne v o yait sur les falaises, à demi-p ente , que
l’église à dr oite , et que la maison des Chante au à g auche , sép aré es p ar le
ravin de la r oute . C’était là tout Bonne ville .
― Hein ? quel fichu temps ! cria une v oix.
Ayant le vé les y eux, Chante au r e connut le curé , l’abbé Horteur , un
homme trapu, à encolur e de p ay san, dont les cinquante ans n’avaient p as
encor e pâli les che v eux r oux. D e vant l’église , sur le ter rain du cimetièr e ,
le prêtr e s’était réser vé