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ÉMI LE ZOLA
LA CU RÉE
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
LA CU RÉE
1895
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0240-7
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
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signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.P RÉF A CE ¹
’ et so ciale d’une famille sous le se cond
empir e , la Curée est la note de l’ or et de la chair . L’artiste , en moi,D se r efusait à fair e de l’ ombr e sur cet é clat de la vie à outrance
qui a é clairé tout le règne d’un jour susp e ct de mauvais lieu. Un p oint de
l’Histoir e que j’ai entr eprise en serait r esté obscur .
J’ai v oulu montr er l’épuisement prématuré d’une race qui a vé cu tr op
vite et qui ab outit à l’homme-femme des so ciétés p our ries ; la sp é culation
furieuse d’une ép o que s’incar nant dans un temp érament sans scr upule ,
enclin aux av entur es ; le détraquement ner v eux d’une femme dont un
milieu de lux e et de honte dé cuple les app étits natifs. Et, av e c ces tr ois
monstr uosités so ciales, j’ai essayé d’é crir e une œuv r e d’art et de science
qui fût en même temps une des p ag es les plus étrang es de nos mœur s.
Si je cr ois de v oir e xpliquer la Curée , cee p eintur e v raie de la débâcle
d’une so ciété , c’ est que le côté liérair e et scientifique a p ar u en êtr e si
p eu compris dans le jour nal où j’ai tenté de donner ce r oman, qu’il m’a
1. Note de l’é dition ÉF ÉLÉ : cee préface est dans la cinquième é dition (1876), la
dixième é dition (1877), la tr eizième é dition (1878), mais elle n’ est p as dans les é ditions
vingtcinquième mille (1883), tr ente-quatrième mille (1891) et quarante et unième mille (1895, le
te xte qui a ser vi p our cee é dition ÉF ÉLÉ).
1La curé e Chapitr e
fallu en inter r ompr e la publication et r ester au milieu de l’ e xp érience .
ÉMILE ZOLA.
Paris, 15 novembre 1871.
n
2CHAP I T RE I
, l’ encombr ement des v oitur es qui r entraient p ar
le b ord du lac, la calè che dut mar cher au p as. Un moment, l’ em-A bar ras de vint tel, qu’il lui fallut même s’ar rêter .
Le soleil se couchait dans un ciel d’ o ctobr e , d’un gris clair , strié à l’horizon
de minces nuag es. Un der nier ray on, qui tombait des massifs lointains de
la cascade , enfilait la chaussé e , baignant d’une lumièr e r ousse et pâlie la
longue suite des v oitur es de v enues immobiles. Les lueur s d’ or , les é clair s
vifs que jetaient les r oues semblaient s’êtr e fix és le long des r e champis
jaune p aille de la calè che , dont les p anne aux gr os bleu r eflétaient des coins
du p ay sag e envir onnant. Et, plus haut, en plein dans la clarté r ousse qui
les é clairait p ar der rièr e , et qui faisait luir e les b outons de cuiv r e de leur s
cap otes à demi plié es, r etombant du sièg e , le co cher et le valet de pie d,
av e c leur liv ré e bleu sombr e , leur s culoes mastic et leur s gilets rayés
noir et jaune , se tenaient raides, grav es et p atients, comme des laquais de
b onne maison qu’un embar ras de v oitur es ne p ar vient p as à fâcher . Leur s
3La curé e Chapitr e I
chap e aux, or nés d’une co carde noir e , avaient une grande dignité . Seuls,
les che vaux, un sup erb e aelag e bai, soufflaient d’imp atience .
― Tiens, dit Maxime , Laur e d’ A urigny , là-bas, dans ce coup é . . . V ois
donc, René e .
René e se soule va légèr ement, cligna les y eux, av e c cee moue e x quise
que lui faisait fair e la faiblesse de sa v ue .
― Je la cr o yais en fuite , dit-elle . . . Elle a chang é la couleur de ses
chev eux, n’ est-ce p as ?
― Oui, r eprit Maxime en riant, son nouv el amant déteste le r oug e .
René e , p enché e en avant, la main appuyé e sur la p ortièr e basse de
la calè che , r eg ardait, é v eillé e du rê v e triste qui, depuis une heur e , la
tenait silencieuse , allong é e au fond de la v oitur e , comme dans une chaise
longue de convalescente . Elle p ortait, sur une r ob e de soie mauv e , à
tablier et à tunique , g ar nie de lar g es v olants plissés, un p etit p aletot de drap
blanc, aux r e v er s de v elour s mauv e , qui lui donnait un grand air de
crânerie . Ses étrang es che v eux fauv e pâle , dont la couleur rapp elait celle du
b eur r e fin, étaient à p eine cachés p ar un mince chap e au or né d’une touffe
de r oses du Beng ale . Elle continuait à cligner les y eux, av e c sa mine de
g ar çon imp ertinent, son fr ont pur trav er sé d’une grande ride , sa b ouche ,
dont la lè v r e sup érieur e avançait, ainsi que celle des enfants b oudeur s.
Puis, comme elle v o yait mal, elle prit son bino cle , un bino cle d’homme , à
g ar nitur e d’é caille , et le tenant à la main, sans se le p oser sur le nez, elle
e x amina la gr osse Laur e d’ A urigny tout à son aise , d’un air p arfaitement
calme .
Les v oitur es n’avançaient toujour s p as. A u milieu des taches unies,
de teinte sombr e , que faisait la longue file des coup és, fort nombr eux au
Bois p ar cee après-midi d’automne , brillaient le coin d’une glace , le mor s
d’un che val, la p oigné e ar g enté e d’une lanter ne , les g alons d’un laquais
haut placé sur son sièg e . Çà et là , dans un landau dé couv ert, é clatait un
b out d’étoffe , un b out de toilee de femme , soie ou v elour s. Il était p eu à
p eu tombé un grand silence sur tout ce tap ag e éteint, de v enu immobile .
On entendait, du fond des v oitur es, les conv er sations des piétons. Il y
avait des é chang es de r eg ards muets, de p ortièr es à p ortièr es ; et p er sonne
ne causait plus, dans cee aente que coup aient seuls les craquements
des har nais et le coup de sab ot imp atient d’un che val. A u loin, les v oix
4La curé e Chapitr e I
confuses du Bois se mouraient.
Malgré la saison avancé e , tout Paris était là : la duchesse de Ster nich,
en huit-r essorts ; madame de Lauw er ens, en victoria très cor r e ctement
aelé e ; la bar onne de Meinhold, dans un ravissant cab bai-br un ; la
comtesse V ansk a, av e c ses p one y s pie ; madame D aste , et ses fameux stapp er s
noir s ; madame de Guende et madame T essièr e , en coup é ; la p etite Sylvia,
dans un landau gr os bleu. Et encor e don Carlos, en deuil, av e c sa liv ré e
antique et solennelle ; Selim p acha, av e c son fez et sans son g ouv er neur ;
la duchesse de Rozan, en coup é-ég oïste , av e c sa liv ré e p oudré e à blanc ;
M. le comte de Chibray , en dog-cart ; M. Simpson, en mail de la plus b elle
tenue ; toute la colonie américaine . Enfin deux académiciens, en fiacr e .
Les pr emièr es v oitur es se dég agèr ent et, de pr o che en pr o che , toute
la file se mit bientôt à r ouler doucement. Ce fut comme un ré v eil. Mille
clartés dansantes s’allumèr ent, des é clair s rapides se cr oisèr ent dans les
r oues, des étincelles jaillir ent des har nais se coués p ar les che vaux. Il y eut
sur le sol, sur les arbr es, de lar g es r eflets de glace qui couraient. Ce p
étillement des har nais et des r oues, ce flamb oiement des p anne aux v er nis dans
lesquels brûlait la braise r oug e du soleil couchant, ces notes