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ÉMI LE ZOLA
LA BÊT E H UMAI N E
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
LA BÊT E H UMAI N E
1893
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0238-4
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
la chambr e , Roubaud p osa sur la table le p ain
d’une liv r e , le pâté et la b outeille de vin blanc. Mais, le matin,E avant de descendr e à son p oste , la mèr e Victoir e avait dû couv rir
le feu de son p oêle , d’un tel p oussier , que la chaleur était suffo cante . Et le
sous-chef de g ar e , ayant ouv ert une fenêtr e , s’y accouda.
C’était imp asse d’ Amsterdam, dans la der nièr e maison de dr oite , une
haute maison où la Comp agnie de l’Ouest log e ait certains de ses
emplo yés. La fenêtr e , au cinquième , à l’angle du toit mansardé qui faisait
r etour , donnait sur la g ar e , cee tranché e lar g e tr ouant le quartier de
l’Eur op e , tout un dér oulement br usque de l’horizon, que semblait
agrandir encor e , cet après-midi-là , un ciel gris du milieu de fé v rier , d’un gris
humide et tiède , trav er sé de soleil.
En face , sous ce p oudr oiement de ray ons, les maisons de la r ue de
Rome se br ouillaient, s’ effaçaient, légèr es. A g auche , les mar quises des
halles couv ertes ouv raient leur s p or ches g é ants, aux vitrag es enfumés,
1La bête humaine Chapitr e I
celle des grandes lignes, immense , où l’ œil plong e ait, et que les bâtiments
de la p oste et de la b ouilloerie sép araient des autr es, plus p etites, celles
d’ Ar g enteuil, de V er sailles et de la Ceintur e ; tandis que le p ont de
l’Eur op e , à dr oite , coup ait de son étoile de fer la tranché e , que l’ on v o yait
r ep araîtr e et filer au-delà , jusqu’au tunnel des Batignolles. Et, en bas de
la fenêtr e même , o ccup ant tout le vaste champ , les tr ois doubles v oies
qui sortaient du p ont, se ramifiaient, s’é cartaient en un é v entail dont les
branches de métal, multiplié es, innombrables, allaient se p erdr e sous les
mar quises. Les tr ois p ostes d’aiguilleur , en avant des ar ches, montraient
leur s p etits jardins nus. D ans l’ effacement confus des wag ons et des
machines encombrant les rails, un grand signal r oug e tachait le jour pâle .
Pendant un instant, Roubaud s’intér essa, comp arant, song e ant à sa
g ar e du Hav r e . Chaque fois qu’il v enait de la sorte p asser un jour à Paris, et
qu’il descendait chez la mèr e Victoir e , le métier le r epr enait. Sous la
marquise des grandes lignes, l’ar rivé e d’un train de Mantes avait animé les
quais ; et il suivit des y eux la machine de manœuv r e , une p etite
machinetender , aux tr ois r oues basses et couplé es, qui commençait le
débranchement du train, alerte b esogneuse , emmenant, r efoulant les wag ons sur les
v oies de r emisag e . Une autr e machine , puissante celle-là , une machine
d’ e xpr ess, aux deux grandes r oues dé v orantes, stationnait seule , lâchait
p ar sa cheminé e une gr osse fumé e noir e , montant dr oit, très lente dans
l’air calme . Mais toute son aention fut prise p ar le train de tr ois heur es
vingt-cinq, à destination de Caen, empli déjà de ses v o yag eur s, et qui
attendait sa machine . Il n’ap er ce vait p as celle-ci, ar rêté e au delà du p ont
de l’Eur op e ; il l’ entendait seulement demander la v oie , à lég er s coups de
sifflet pr essés, en p er sonne que l’imp atience g agne . Un ordr e fut crié , elle
rép ondit p ar un coup br ef qu’ elle avait compris. Puis, avant la mise en
mar che , il y eut un silence , les pur g eur s fur ent ouv erts, la vap eur siffla au
ras du sol, en un jet assourdissant. Et il vit alor s déb order du p ont cee
blancheur qui foisonnait, tourbillonnante comme un duv et de neig e ,
env olé e à trav er s les char p entes de fer . T out un coin de l’ esp ace en était
blanchi, tandis que les fumé es accr ues de l’autr e machine élar gissaient
leur v oile noir . D er rièr e , s’étouffaient des sons pr olong és de tr omp e , des
cris de commandement, des se cousses de plaques tour nantes. Une dé
chir ur e se pr o duisit, il distingua, au fond, un train de V er sailles et un train
2La bête humaine Chapitr e I
d’ A uteuil, l’un montant, l’autr e descendant, qui se cr oisaient.
Comme Roubaud allait quier la fenêtr e , une v oix qui pr ononçait
son nom, le fit se p encher . Et il r e connut, au-dessous, sur la ter rasse du
quatrième , un jeune homme d’une tr entaine d’anné es, Henri D auv er gne ,
conducteur-chef, qui habitait là en comp agnie de son pèr e , chef adjoint
des grandes lignes, et de ses sœur s, Clair e et Sophie , deux blondes de
dixhuit et vingt ans, adorables, menant le ménag e av e c les six mille francs
des deux hommes, au milieu d’un continuel é clat de g aieté . On
entendait l’aîné e rir e , p endant que la cadee chantait, et qu’une cag e , pleine
d’ oise aux des îles, rivalisait de r oulades.
― Tiens ! monsieur Roubaud, v ous êtes donc à Paris ? . . . Ah ! oui,
p our v otr e affair e av e c le sous-préfet !
D e nouv e au accoudé , le sous-chef de g ar e e xpliqua qu’il avait dû
quitter Le Hav r e , le matin même , p ar l’ e xpr ess de six heur es quarante . Un
ordr e du chef de l’ e xploitation l’app elait à Paris, on v enait de le ser
monner d’imp ortance . Heur eux encor e de n’y av oir p as laissé sa place .
― Et madame ? demanda Henri.
Madame avait v oulu v enir , elle aussi, p our des emplees. Son mari
l’aendait là , dans cee chambr e dont la mèr e Victoir e leur r emeait la
clef, à chacun de leur s v o yag es, et où ils aimaient déjeuner , tranquilles et
seuls, p endant que la brav e femme était r etenue en bas, à son p oste de la
salubrité . Ce jour-là , ils avaient mang é un p etit p ain à Mantes, v oulant se
débar rasser de leur s cour ses d’ab ord. Mais tr ois heur es étaient sonné es,
il mourait de faim.
Henri, p our êtr e aimable , p osa encor e une question :
― Et v ous couchez à Paris ?
Non, non ! ils r etour naient tous deux au Hav r e le soir , p ar l’ e xpr ess
de six heur es tr ente . Ah bien ! oui, des vacances ! On ne v ous dérang e ait
que p our v ous flanquer v otr e p aquet, et tout de suite à la niche !
Un moment, les deux emplo yés se r eg ardèr ent, en ho chant la tête .
Mais ils ne s’ entendaient plus, un piano endiablé v enait d’é clater en notes
sonor es. Les deux sœur s de vaient tap er dessus ensemble , riant plus haut,
e x citant les oise aux des îles. Alor s, le jeune homme , qui s’ég ayait à son
tour , salua, r entra dans l’app artement ; et le sous-chef, seul, demeura un
instant les y eux sur la ter rasse , d’ où montait toute cee g aieté de
jeu3La bête humaine Chapitr e I
nesse . Puis, les r eg ards le vés, il ap er çut la machine qui avait fer mé ses
pur g eur s, et que l’aiguilleur env o yait sur le train de Caen. Les der nier s
flo connements de vap eur blanche se p erdaient, p ar mi les gr os tourbillons
de fumé e noir e , salissant le ciel. Et il r entra, lui aussi, dans la chambr e .
D e vant le coucou qui mar quait tr ois heur es vingt, Roubaud eut un
g este désesp éré . A quoi diable Sé v erine p ouvait-elle s’aarder ainsi ? Elle
n’ en sortait plus, lor squ’ elle était dans un mag asin. Pour tr omp er la faim
qui lui lab ourait l’ estomac, il eut l’idé e de mer e la table