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ÉMI LE ZOLA
L’ŒU V RE
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
L’ŒU V RE
1886
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0252-0
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
distribuer , l’ env o y er à v os amis. V ous êtes d’ailleur s
encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
l’Hôtel-de- Ville , et deux heur es du matin
sonnaient à l’horlog e , quand l’ orag e é clata. Il s’était oublié à rô-C der dans les Halles, p ar cee nuit brûlante de juillet, en artiste
flâneur , amour eux du Paris no ctur ne . Br usquement, les g oues tombèr ent
si lar g es, si dr ues, qu’il prit sa cour se , g alop a déging andé , ép erdu, le long
du quai de la Grè v e . Mais, au p ont Louis-P hilipp e , une colèr e de son
essoufflement l’ar rêta : il tr ouvait imbé cile cee p eur de l’ e au ; et, dans les
ténèbr es ép aisses, sous le cinglement de l’av er se qui no yait les b e cs de
g az, il trav er sa lentement le p ont, les mains ballantes.
Du r este , Claude n’avait plus que quelques p as à fair e . Comme il
tournait sur le quai de Bourb on, dans l’île Saint-Louis, un vif é clair illumina
la ligne dr oite et plate des vieux hôtels rang és de vant la Seine , au b ord de
l’étr oite chaussé e . La ré v erbération alluma les vitr es des hautes fenêtr es
sans p er siennes, on vit le grand air triste des antiques façades, av e c des
détails très nets, un balcon de pier r e , une ramp e de ter rasse , la guirlande
1L’ œuv r e Chapitr e I
sculpté e d’un fr onton. C’était là que le p eintr e avait son atelier , dans les
combles de l’ancien hôtel du Marto y , à l’angle de la r ue de la
Femme-sansTête . Le quai entr e vu était aussitôt r etombé aux ténèbr es, et un for midable
coup de tonner r e avait ébranlé le quartier endor mi.
Ar rivé de vant sa p orte , une vieille p orte r onde et basse , bardé e de
fer , Claude , av euglé p ar la pluie , tâtonna p our tir er le b outon de la
sonnee ; et sa sur prise fut e xtrême , il eut un tr essaillement en r encontrant
dans l’ encoignur e , collé contr e le b ois, un cor ps vivant. Puis, à la br usque
lueur d’un se cond é clair , il ap er çut une grande jeune fille , vêtue de noir ,
et déjà tr emp é e , qui gr eloait de p eur . Lor sque le coup de tonner r e les
eut se coués tous les deux, il s’é cria :
― Ah bien ! si je m’aendais. . . i êtes-v ous ? que v oulez-v ous ?
Il ne la v o yait plus, il l’ entendait seulement sangloter et bég ay er .
― Oh ! monsieur , ne me faites p as du mal. . . C’ est le co cher que j’ai
pris à la g ar e , et qui m’a abandonné e près de cee p orte , en me br
utalisant. . . Oui, un train a déraillé , du côté de Ne v er s. Nous av ons eu quatr e
heur es de r etard, je n’ai plus tr ouvé la p er sonne qui de vait m’aendr e . . .
Mon Dieu ! c’ est la pr emièr e fois que je viens à Paris, monsieur , je ne sais
p as où je suis. . .
Un é clair éblouissant lui coup a la p ar ole ; et ses y eux dilatés p ar
cour ur ent av e c effar ement ce coin de ville inconnue , l’app arition violâtr e
d’une cité fantastique . La pluie avait cessé . D e l’autr e côté de la Seine , le
quai des Or mes alignait ses p etites maisons grises, bariolé es en bas p ar les
b oiseries des b outiques, dé coup ant en haut leur s toitur es inég ales ;
tandis que l’horizon élar gi s’é clairait, à g auche jusqu’aux ardoises bleues des
combles de l’Hôtel-de- Ville , à dr oite jusqu’à la coup ole plombé e de
SaintPaul. Mais ce qui la suffo quait surtout, c’ est l’ encaissement de la rivièr e ,
la fosse pr ofonde où la Seine coulait à cet endr oit, noirâtr e , des lourdes
piles du p ont Marie aux ar ches légèr es du nouv e au p ont Louis-P hilipp e .
D’étrang es masses p euplaient l’ e au, u ne floille dor mante de canots et
d’y oles, un bate au-lav oir et une dragueuse , amar rés au quai ; puis, là-bas,
contr e l’autr e b er g e , des p éniches pleines de charb on, des chalands
charg és de meulièr e , dominés p ar le bras gig antesque d’une gr ue de fonte .
T out disp ar ut.
― Bon ! une far ceuse , p ensa Claude , quelque gueuse flanqué e à la r ue
2L’ œuv r e Chapitr e I
et qui cher che un homme .
Il avait la méfiance de la femme : cee histoir e d’accident, de train
en r etard, de co cher br utal, lui p araissait une inv ention ridicule . La jeune
fille , au coup de tonner r e , s’était r enfoncé e dans le coin de la p orte , ter
rifié e .
― V ous ne p ouv ez p ourtant p as coucher là , r eprit-il tout haut.
Elle pleurait plus fort, elle balbutia :
― Monsieur , je v ous en prie , conduisez-moi à Passy !. . . C’ est à Passy
que je vais.
Il haussa les ép aules : le pr enait-elle p our un sot ? Machinalement,
il s’était tour né v er s le quai des Célestins, où se tr ouvait une station de
fiacr es. Pas une lueur de lanter ne ne luisait.
― A Passy , ma chèr e , p our quoi p as V er sailles ? . . . Où diable v
oulezv ous qu’ on pê che une v oitur e , à cee heur e , et p ar un temps p ar eil ?
Mais elle jeta un cri, un nouv el é clair l’avait av euglé e ; et, cee fois,
elle v enait de r e v oir la ville tragique dans un é clab oussement de sang.
C’était une tr oué e immense , les deux b outs de la rivièr e s’ enfonçant à
p erte de v ue , au milieu des braises r oug es d’un incendie . Les plus minces
détails app ar ur ent, on distingua les p etites p er siennes fer mé es du quai des
Or mes, les deux fentes des r ues de la Masur e et du Paon-Blanc, coup ant
la ligne des façades ; près du p ont Marie , on aurait compté les feuilles des
grands platanes, qui meent là un b ouquet de sup erb e v erdur e ; tandis
que , de l’autr e côté , sous le p ont Louis-P hilipp e , au Mail, les toues aligné es
sur quatr e rangs avaient flambé , av e c les tas de p ommes jaunes dont elles
craquaient. Et l’ on vit encor e les r emous de l’ e au, la cheminé e haute du
bate au-lav oir , la chaîne immobile de la dragueuse , des tas de sable sur le
p ort, en face , une complication e xtraordinair e de choses, tout un monde
emplissant l’énor me coulé e , la fosse cr eusé e d’un horizon à l’autr e . Le
ciel s’éteignit, le flot ne r oula plus que des ténèbr es, dans le fracas de la
foudr e .
― Oh ! mon Dieu ! c’ est fini. . . Oh ! mon Dieu ! que vais-je de v enir ?
La pluie , maintenant, r e commençait, si raide , p oussé e p ar un tel v ent,
qu’ elle balayait le quai, av e c une violence d’é cluse lâché e .
― Allons, laissez-moi r entr er , dit Claude , ce n’ est p as tenable .
T ous deux se tr emp aient. A la clarté vague du b e c de g az scellé au coin
3L’ œuv r e Chapitr e I
de la r ue de la Femme-sans- Tête , il la v o yait r uisseler , la r ob e collé e à la
p e au, dans le délug e qui baait la p orte . Une pitié l’ envahit : il avait bien,
un soir d’ orag e , ramassé un chien sur un tr ooir ! Mais cela le fâchait de
s’aendrir , jamais il n’intr o duisait de fille chez lui, il les traitait toutes en
g ar çon qui les ignorait, d’une timidité souffrante qu