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ÉMI LE ZOLA
L’ASSOMMOI R
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
L’ASSOMMOI R
1879
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0247-6
BI BEBO OK
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.Pr éface de l’auteur
RM se comp oser d’une vingtaine de
r omans. D epuis 1869, le plan g énéral est ar rêté , et je le suis av e cL une rigueur e xtrême . L’ Assommoir est v enu à son heur e , je l’ai
é crit, comme j’é crirai les autr es, sans me dérang er une se conde de ma
ligne dr oite . C’ est ce qui fait ma for ce . J’ai un but auquel je vais.
Lor sque l’ Assommoir a p ar u dans un jour nal, il a été aaqué av e c une
br utalité sans e x emple , dénoncé , char g é de tous les crimes. Est-il bien
nécessair e d’ e xpliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d’é crivain ?
J’ai v oulu p eindr e la dé ché ance fatale d’une famille ouv rièr e , dans le
milieu emp esté de nos faub our gs. A u b out de l’iv r ognerie et de la fainé antise ,
il y a le r elâchement des liens de la famille , les ordur es de la pr omiscuité ,
l’ oubli pr ogr essif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la
honte et la mort. C’ est la morale en action, simplement.
L’ Assommoir est à coup sûr le plus chaste de mes liv r es. Souv ent j’ai
dû toucher à des plaies autr ement ép ouvantables. La for me seule a
effaré . On s’ est fâché contr e les mots. Mon crime est d’av oir eu la langue
du p euple . Ah ! la for me , là est le grand crime ! D es dictionnair es de cee
langue e xistent p ourtant, des lerés l’étudient et jouissent de sa v erdeur ,
de l’impré v u et de la for ce de ses imag es. Elle est un rég al p our les
gram1L’ Assommoir Chapitr e
mairiens fur eteur s. N’imp orte , p er sonne n’a entr e v u que ma v olonté était
de fair e un travail pur ement philologique , que je cr ois d’un vif intérêt
historique et so cial.
Je ne me défends p as d’ailleur s. Mon œuv r e me défendra. C’ est une
œuv r e de vérité , le pr emier r oman sur le p euple , qui ne mente p as et qui
ait l’ o deur du p euple . Et il ne faut p oint conclur e que le p euple tout
entier est mauvais, car mes p er sonnag es ne sont p as mauvais, ils ne sont
qu’ignorants et gâtés p ar le milieu de r ude b esogne et de misèr e où ils
viv ent. Seulement, il faudrait lir e mes r omans, les compr endr e , v oir
nettement leur ensemble , avant de p orter les jug ements tout faits, gr otesques
et o dieux, qui cir culent sur ma p er sonne et sur mes œuv r es. Ah ! si l’ on
savait combien mes amis s’ég ay ent de la lég ende stup éfiante dont on amuse
la foule ! Si l’ on savait combien le buv eur de sang, le r omancier fér o ce ,
est un digne b our g e ois, un homme d’étude et d’art, vivant sag ement dans
son coin, et dont l’unique ambition est de laisser une œuv r e aussi lar g e
et aussi vivante qu’il p our ra ! Je ne démens aucun conte , je travaille , je
m’ en r emets au temps et à la b onne foi publique p our me dé couv rir enfin
sous l’amas des soises entassé es.
ÉMILE ZOLA.
Paris, 1ʳ janvier 1877.
n
2CHAP I T RE I
Lantier jusqu’à deux heur es du matin.
Puis, toute frissonnante d’êtr e r esté e en camisole à l’air vif deG la fenêtr e , elle s’était assoupie , jeté e en trav er s du lit, fié v r euse ,
les joues tr emp é es de lar mes. D epuis huit jour s, au sortir du Veau à deux
têtes , où ils mang e aient, il l’ env o yait se coucher av e c les enfants et ne
r ep araissait que tard dans la nuit, en racontant qu’il cher chait du travail.
Ce soir-là , p endant qu’ elle gueait son r etour , elle cr o yait l’av oir v u entr er
au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtr es flambantes é clairaient d’une
napp e d’incendie la coulé e noir e des b oule vards e xtérieur s ; et, der rièr e
lui, elle avait ap er çu la p etite A dèle , une br unisseuse qui dînait à leur
r estaurant, mar chant à cinq ou six p as, les mains ballantes, comme si elle
v enait de lui quier le bras p our ne p as p asser ensemble sous la clarté
cr ue des glob es de la p orte .
and Ger vaise s’é v eilla, v ers cinq heur es, raidie , les r eins brisés, elle
é clata en sanglots. Lantier n’était p as r entré . Pour la pr emièr e fois, il
dé3L’ Assommoir Chapitr e I
couchait. Elle r esta assise au b ord du lit, sous le lamb e au de p er se déteinte
qui tombait de la flè che aaché e au plafond p ar une ficelle . Et, lentement,
de ses y eux v oilés de lar mes, elle faisait le tour de la misérable chambr e
g ar nie , meublé e d’une commo de de no y er dont un tir oir manquait, de
tr ois chaises de p aille et d’une p etite table graisseuse , sur laquelle traînait
un p ot à e au ébré ché . On avait ajouté , p our les enfants, un lit de fer qui
bar rait la commo de et emplissait les deux tier s de la piè ce . La malle de
Ger vaise et de Lantier , grande ouv erte dans un coin, montrait ses flancs
vides, un vieux chap e au d’homme tout au fond, enfoui sous des chemises
et des chaussees sales ; tandis que , le long des mur s, sur le dossier des
meubles, p endaient un châle tr oué , un p antalon mang é p ar la b oue , les
der nièr es nipp es dont les mar chands d’habits ne v oulaient p as. A u
milieu de la cheminé e , entr e deux flamb e aux de zinc dép ar eillés, il y avait
un p aquet de r e connaissances du Mont-de-Piété , d’un r ose tendr e .
C’était la b elle chambr e de l’hôtel, la chambr e du pr emier , qui donnait sur le
b oule vard.
Cep endant, couchés côte à côte sur le même or eiller , les deux enfants
dor maient. Claude , qui avait huit ans, ses p etites mains r ejeté es hor s de la
couv ertur e , r espirait d’une haleine lente , tandis qu’Étienne , âg é de quatr e
ans seulement, souriait, un bras p assé au cou de son frèr e . Lor sque le r
eg ard no yé de leur mèr e s’ar rêta sur eux, elle eut une nouv elle crise de
sanglots, elle tamp onna un mouchoir sur sa b ouche , p our étouffer les lég er s
cris qui lui é chapp aient. Et, pie ds nus, sans song er à r emer e ses savates
tombé es, elle r etour na s’accouder à la fenêtr e , elle r eprit son aente de la
nuit, inter r og e ant les tr ooir s, au loin.
L’hôtel se tr ouvait sur le b oule vard de la Chap elle , à g auche de la
barrièr e Poissonnièr e . C’était une masur e de deux étag es, p einte en r oug e lie
de vin jusqu’au se cond, av e c des p er siennes p our ries p ar la pluie . A
udessus d’une lanter ne aux vitr es étoilé es, on p ar v enait à lir e entr e les
deux fenêtr es : Hôtel Boncœur, t enu par Marsoullier , en grandes ler es
jaunes, dont la moisissur e du plâtr e avait emp orté des mor ce aux.
Gervaise , que la lanter ne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lè v r es. Elle
r eg ardait à dr oite , du côté du b oule vard de Ro che chouart, où des gr oup es
de b oucher s, de vant les abaoir s, stationnaient en tablier s sanglants ; et
le v ent frais app ortait une puanteur p ar moments, une o deur fauv e de
4L’ Assommoir Chapitr e I
bêtes massacré es. Elle r eg ardait à g auche , enfilant un long r uban d̵