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ÉMI LE ZOLA
L’ARGEN T
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
L’ARGEN T
1876
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0246-9
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
distribuer , l’ env o y er à v os amis. V ous êtes d’ailleur s
encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
de sonner à la Bour se , lor sque Saccard
entra chez Champ e aux, dans la salle blanc et or , dont les deuxO hautes fenêtr es donnent sur la place . D’un coup d’ œ il, il p ar
cour ut les rangs de p etites tables, où les conviv es affairés se ser raient coude
à coude ; et il p ar ut sur pris de ne p as v oir le visag e qu’il cher chait.
Comme , dans la b ousculade du ser vice , un g ar çon p assait, char g é de
plats :
― Dites donc, monsieur Hur et n’ est p as v enu ?
― Non, monsieur , p as encor e .
Alor s, Saccard se dé cida, s’assit à une table que quiait un client, dans
l’ embrasur e d’une des fenêtr es. Il se cr o yait en r etard ; et, tandis qu’ on
chang e ait la ser viee , ses r eg ards se p ortèr ent au-dehor s, épiant les p
assants du tr ooir . Même , lor sque le couv ert fut rétabli, il ne commanda p as
tout de suite , il demeura un moment les y eux sur la place , toute g aie de
cee clair e jour né e des pr emier s jour s de mai. A cee heur e où le monde
1L’ar g ent Chapitr e I
déjeunait, elle était pr esque vide : sous les mar r onnier s, d’une v erdur e
tendr e et neuv e , les bancs r estaient ino ccup és ; le long de la grille , à la
station de v oitur es, la file des fiacr es s’allong e ait, d’un b out à l’autr e ; et
l’ omnibus de la Bastille s’ar rêtait au bur e au, à l’angle du jardin, sans
laisser ni pr endr e de v o yag eur s. Le soleil tombait d’aplomb , le monument
en était baigné , av e c sa colonnade , ses deux statues, son vaste p er r on, en
haut duquel il n’y avait encor e que l’ar mé e des chaises, en b on ordr e .
Mais Saccard, s’étant tour né , r e connut Mazaud, l’ag ent de chang e , à
la table v oisine de la sienne . Il tendit la main.
― Tiens ! c’ est v ous. Bonjour !
― Bonjour ! rép ondit Mazaud, en donnant une p oigné e de main
distraite .
Petit, br un, très vif, joli homme , il v enait d’hériter de la char g e d’un de
ses oncles, à tr ente-deux ans. Et il semblait tout au conviv e qu’il avait en
face de lui, un gr os monsieur à figur e r oug e et rasé e , le célèbr e Amadieu,
que la Bour se vénérait, depuis son fameux coup sur les Mines de Selsis.
Lor sque les titr es étaient tombés à quinze francs, et que l’ on considérait
tout acheteur comme un fou, il avait mis dans l’affair e sa fortune , deux
cent mille francs, au hasard, sans calcul ni flair , p ar un entêtement de
br ute chanceuse . A ujourd’hui que la dé couv erte de filons ré els et
considérables avait fait dép asser aux titr es le cour s de mille francs, il g agnait
une quinzaine de millions ; et son op ération imbé cile qui aurait dû le
fair e enfer mer autr efois, le haussait maintenant au rang des vastes
cerv e aux financier s. Il était salué , consulté surtout. D’ailleur s, il ne donnait
plus d’ ordr es, comme satisfait, trônant désor mais dans son coup de g énie
unique et lég endair e . Mazaud de vait rê v er sa clientèle .
Saccard, n’ayant pu obtenir d’ Amadieu même un sourir e , salua la table
d’ en face , où se tr ouvaient réunis tr ois sp é culateur s de sa connaissance ,
Pillerault, Moser et Salmon.
― Bonjour ! ça va bien ?
― Oui, p as mal. . . Bonjour !
Chez ceux-ci encor e , il sentit la fr oideur , l’hostilité pr esque . Pillerault
p ourtant, très grand, très maigr e , av e c des g estes saccadés et un nez en
lame de sabr e , dans un visag e osseux de che valier er rant, avait d’habitude
la familiarité d’un joueur qui érig e ait en princip e le casse-cou, dé clarant
2L’ar g ent Chapitr e I
qu’il culbutait dans des catastr ophes, chaque fois qu’il s’appliquait à
réflé chir . Il était d’une natur e e xubérante de haussier , toujour s tour né à la
victoir e , tandis que Moser , au contrair e , de taille courte , le teint jaune ,
ravag é p ar une maladie de foie , se lamentait sans cesse , en pr oie à de
continuelles craintes de catacly sme . ant à Salmon, un très b el homme
luttant contr e la cinquantaine , étalant une barb e sup erb e , d’un noir d’ encr e ,
il p assait p our un g aillard e xtraordinair ement fort. Jamais il ne p arlait, il
ne rép ondait que p ar des sourir es, on ne savait dans quel sens il jouait, ni
même s’il jouait ; et sa façon d’é couter impr essionnait tellement Moser ,
que souv ent celui-ci, après lui av oir fait une confidence , courait chang er
un ordr e , démonté p ar son silence .
D ans cee indiffér ence qu’ on lui témoignait, Saccard était r esté les
r eg ards fié v r eux et pr o v o cants, ache vant le tour de la salle . Et il n’é
chang e a plus un signe de tête qu’av e c un grand jeune homme , assis à tr ois
tables de distance , le b e au Sabatani, un Le vantin, à la face longue et br une ,
qu’é clairaient des y eux noir s magnifiques, mais qu’une b ouche mauvaise ,
inquiétante , gâtait. L’amabilité de ce g ar çon ache va de l’ir riter : quelque
e x é cuté d’une Bour se étrangèr e , un de ces g aillards my stérieux aimés des
femmes, tombé depuis le der nier automne sur le mar ché , qu’il avait déjà
v u à l’ œuv r e comme prête-nom, dans un désastr e de banque , et qui p eu à
p eu conquérait la confiance de la corb eille et de la coulisse , p ar b e aucoup
de cor r e ction et une b onne grâce infatig able , même p our les plus tarés.
Un g ar çon était deb out de vant Saccard.
― ’ est-ce que monsieur pr end ?
― Ah ! oui. . . Ce que v ous v oudr ez, une côtelee , des asp er g es.
Puis, il rapp ela le g ar çon.
― V ous êtes sûr que monsieur Hur et n’ est p as v enu avant moi et n’ est
p as r ep arti ?
― Oh ! absolument sûr !
Ainsi, il en était là , après la débâcle qui, en o ctobr e , l’avait for cé une
fois de plus à liquider sa situation, à v endr e son hôtel du p ar c Monce au,
p our louer un app artement : les Sabatanis seuls le saluaient, son entré e
dans un r estaurant, où il avait régné , ne faisait plus tour ner toutes les
têtes, tendr e toutes les mains. Il était b e au joueur , il r estait sans rancune ,
à la suite de cee der nièr e affair e de ter rains, scandaleuse et désastr euse ,
3L’ar g ent Chapitr e I
dont il n’avait guèr e sauvé que sa p e au. Mais une fiè v r e de r e vanche
s’allumait dans son êtr e ; et l’absence d’Hur et qui avait for mellement pr omis
d’êtr e là , dès onze heur es, p our lui r endr e compte de la démar che dont
il s’était char g é près de son frèr e Roug on, le ministr e alor s triomphant,
l’ e x asp érait surtout contr e ce der nier . Hur et, député do cile , cré atur e du
grand homme , n’était qu’un commissionnair e . Seulement, Roug on, lui qui
p ouvait tout, était-ce p ossible qu’il l’abandonnât ainsi ? Jamais il ne s’était
montré b on frèr e . ’il se fût fâché après la catastr ophe