Une conversation entre onze heures et minuitd a n s Contes brunsHonoré de Balzac1832Je fréquentais l'hiver dernier une maison, la seule peut-être où maintenant, le soir, laconversation échappe à la politique et aux niaiseries de salon. Là viennent desartistes, des poètes, des hommes d'état, des savans, des jeunes gens occupés dechasse, de chevaux, de femmes, de jeu, ailleurs, de toilette, mais qui, dans cetteréunion, prennent sur eux de dépenser leur esprit, comme ils prodiguent ailleurs leurargent ou leurs fatuités.Ce salon est le dernier asile où se soit réfugié l'esprit français d'autrefois, avec saprofondeur cachée, ses mille détours, sa politesse exquise. Là vous trouverezencore quelque spontanéité dans les cœurs, de l'abandon, de la générosité dansles idées. Nul ne pense à garder sa pensée pour un drame, ne voit des livres dansun récit. Personne ne vous apporte le hideux squelette de la littérature, à proposd'une saillie heureuse ou d'un sujet intéressant.Pendant la soirée que je vais raconter, le hasard, ou plutôt l'habitude, avait réuniplusieurs personnes auxquelles d'incontestables mérites ont valu des réputationseuropéennes. Ceci n'est point une flatterie adressée à la France; plusieursétrangers étaient parmi nous; et, par cas fortuit, les hommes qui brillèrent le plusn'étaient pas les plus célèbres. Ingénieuses réparties, observations fines, railleriesexcellentes, peintures dessinées avec une netteté brillante, pétillèrent et sepressèrent ...
Voir