Léon TolstoïDernières ParolesMercure de France, 1905 (pp. 287-291).LE TRAVAIL, LA MORT ET LA MALADIECONTEParmi les Indiens de l’Amérique du Sud, il existe la légende suivante :Dieu, disent-ils, créa les hommes de telle façon qu’il ne leur fallait pas travailler. Ilsn’avaient besoin ni d’habits, ni de maisons, ni de nourriture, et tous vivaient jusqu’àcent ans sans connaître aucune maladie.Un certain temps se passa et, quand Dieu regarda comment vivaient les hommes, ilvit qu’au lieu de se réjouir de la vie, chacun d’eux n’avait souci que de soi, qu’ils sequerellaient entre eux et s’étaient arrangés de telle façon que, non seulement ilsn’étaient pas contents de la vie, mais la maudissaient.Alors Dieu dit : « C’est parce qu’ils vivent chacun pour soi. » Pour les en empêcher,Dieu fit de telle sorte qu’il était impossible aux hommes de vivre sans travailler ; etpour ne pas souffrir de la faim et du froid, ils durent se couvrir avec des habits,bêcher la terre, cultiver et récolter les fruits et les grains.— « Le travail les unira, pensa Dieu. C’est impossible à un seul de couper et detransporter les poutres, de bâtir les habitations ; c’est impossible qu’un seulfabrique les instruments de travail, sème, récolte, tisse, couse les habits. Il est facilede comprendre que plus nombreux ils seront à travailler ensemble, plus ilsfabriqueront, plus la vie leur sera facile et plus ils seront unis. »Quelque temps se passe encore. Dieu vint de nouveau regarder ...
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