Alphonse AllaisDeux et deux font cinqCe soir-là, je rentrai tard (ou tôt, si vous aimez mieux, car déjà pointait l’aurore).Je m’apprêtais à exécuter la légère opération de serrurerie qui permet à chacun depénétrer chez soi, quand, de l’escalier, me descendirent des voix :— C’est très embêtant !… Il est à peine quatre heures : il nous faudra attendre deuxheures avant qu’un serrurier ne soit ouvert.— Pourquoi perds-tu la clef, aussi, espèce de serin ?Accablé sous le reproche, l’espèce de serin ne répondit point.Les interlocuteurs descendaient et je les aperçus : deux jeunes gens sur la facedesquels s’étendait un voile de lassitude inexprimable et dont les cheveux un peulongs figuraient une broussaille pas très bien tenue.Je suis l’obligeance même : — Messieurs, m’inclinai-je, je vois ce dont il s’agit. Voulez-vous me permettre devous offrir l’hospitalité jusqu’à la venue du grand jour ?Consentirent les jeunes gens.Je les introduisis dans mon petit salon rose et vert pomme, orgueil de mon logis, etm’enquis s’ils souhaitaient se désaltérer.Ils voulaient bien.Je débouchai une bouteille de cette excellente bière de Nuremberg que les baronsde Tucher se font une allégresse de m’offrir, et nous causâmes.Les jeunes hommes — je l’aurais gagé — se trouvaient être des artistes : un poète,un peintre.Voici les termes du poète :— Je suis du groupe néo-agoniaque, dont la séparation avec l’école râleuse fit tantde tapage l’hiver dernier.— Mes souvenirs ne sont ...
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