229
pages
Français
Documents
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe Tout savoir sur nos offres
229
pages
Français
Documents
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe Tout savoir sur nos offres
P I ERRE LO T I
A U MARO C
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
A U MARO C
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1086-0
BI BEBO OK
w w w .bib eb o ok.comLicence
Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
Except where otherwise noted, this work is licensed under
h tt p : / / c r e a ti v e c o m m on s . or g / l i c e n s e s / b y - s a / 3 . 0 /
Lir e la licence
Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
distribuer , l’ env o y er à v os amis. V ous êtes d’ailleur s
encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.MONSI EU R J. P A T ENO T RE
MI N IST RE DE F RANCE A U MARO CA
Hommage d’affectueuse reconnaissance.
P . L.
n
1P RÉF A CE
’ de fair e ici une p etite préface , — je prie qu’ on
me p ardonne , p ar ce que c’ est la pr emièr e fois.J A ussi bien v oudrais-je mer e tout de suite en g arde contr e mon
liv r e un très grand nombr e de p er sonnes p our lesquelles il n’a p as été
é crit. ’ on ne s’aende p as à y tr ouv er des considérations sur la p
olitique du Mar o c, son av enir , et sur les mo y ens qu’il y aurait de l’ entraîner
dans le mouv ement mo der ne : d’ab ord, cela ne m’intér esse ni ne me r
eg arde , — et puis, surtout, le p eu que j’ en p ense est dir e ctement au r eb our s
du sens commun.
Les détails intimes que des cir constances p articulièr es m’ ont ré vélés,
sur le g ouv er nement, les har ems et la cour , je me suis même bien g ardé
de les donner (tout en les appr ouvant dans mon for intérieur ), p ar crainte
qu’il n’y eût là matièr e à clabauderies p our quelques imbé ciles. Si, p ar
hasard, les Mar o cains qui m’ ont r e çu avaient la curiosité de me lir e , j’ espèr e
qu’au moins ils appré cieraient ma discrète réser v e .
Et encor e , dans ces pur es descriptions aux quelles j’ai v oulu me b
orner , suis-je très susp e ct de p artialité p our ce p ay s d’Islam, moi qui, p ar
je ne sais quel phénomène d’atavisme lointain ou de pré e xistence , me
suis toujour s senti l’âme à moitié arab e : le son des p etites flûtes d’ A -
2A u Mar o c Chapitr e
frique , des tam-tams et des castagnees de fer , ré v eille en moi comme
des souv enirs insondables, me char me davantag e que les plus savantes
har monies ; le moindr e dessin d’arab esque , effacé p ar le temps au-dessus
de quelque p orte antique , — et même seulement la simple chaux blanche ,
la vieille chaux blanche jeté e en suair e sur quelque muraille en r uine , —
me plong e dans des rê v eries de p assé my stérieux, fait vibr er en moi je ne
sais quelle fibr e enfouie ; — et la nuit, sous ma tente , j’ai p arfois prêté l’
or eille , absolument captivé , frémissant dans mes dessous les plus pr ofonds,
quand, p ar hasard, d’une tente v oisine m’ar rivaient deux ou tr ois notes,
grêles et plaintiv es comme des br uits de g oues d’ e au, que quelqu’un de
nos chamelier s, en demi-sommeil, tirait de sa p etite guitar e sourde . . .
Il est bien un p eu sombr e , cet empir e du Maghreb, et l’ on y coup e
bien de temps en temps quelques têtes, je suis for cé de le r e connaîtr e ;
cep endant je n’y ai r encontré , p our ma p art, que des g ens hospitalier s, —
p eut-êtr e un p eu imp énétrables, mais souriants et courtois — même dans
le p euple , dans les foules. Et chaque fois que j’ai tâché de dir e à mon tour
des choses gracieuses, on m’a r emer cié p ar ce joli g este arab e , qui consiste
à mer e une main sur le cœur et à s’incliner , av e c un sourir e dé couv rant
des dents très blanches.
ant à S. M. le Sultan, je lui sais gré d’êtr e b e au ; de ne v ouloir ni
p arlement ni pr esse , ni chemins de fer ni r outes ; de monter des che vaux
sup erb es ; de m’av oir donné un long fusil g ar ni d’ar g ent et un grand sabr e
damasquiné d’ or . J’admir e son haut et tranquille dé dain des agitations
contemp oraines ; comme lui, je p ense que la foi des anciens jour s, qui
fait encor e des marty r s et des pr ophètes, est b onne à g arder et douce aux
hommes à l’heur e de la mort. A quoi b on se donner tant de p eine p our
tout chang er , p our compr endr e et embrasser tant de choses nouv elles,
puisqu’il faut mourir , puisque for cément un jour il faut râler quelque
p art, au soleil ou à l’ ombr e , à une heur e que Dieu seul connaît ? P
lutôt g ardons la tradition de nos pèr es, qui semble un p eu nous pr olong er
nous-mêmes en nous liant plus intimement aux hommes p assés et aux
hommes à v enir . D ans un vague song e d’éter nité , viv ons insouciants des
lendemains ter r estr es, et laissons les vieux mur s se fendr e au soleil des
étés, les herb es p ousser sur nos toits, les bêtes p our rir à la place où elles
sont tombé es. Laissons tout, et jouissons seulement au p assag e des choses
3A u Mar o c Chapitr e
qui ne tr omp ent p as, des b elles cré atur es, des b e aux che vaux, des b e aux
jardins et des p arfums de fleur s. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
D onc, que ceux-là seuls me suiv ent dans mon v o yag e , qui p arfois le
soir se sont sentis frémir aux pr emièr es notes g émies p ar des p etites flûtes
arab es qu’accomp agnaient des tamb our s. Ils sont mes p ar eils ceux-là , mes
p ar eils et mes frèr es ; qu’ils montent av e c moi sur mon che val br un, lar g e
de p oitrine , éb ouriffé à tous crins ; à trav er s des plaines sauvag es tapissé es
de fleur s, à trav er s des déserts d’iris et d’aspho dèles, je les mènerai au
fond de ce vieux p ay s immobilisé sous le soleil lourd, v oir les grandes
villes mortes de là-bas, que b er ce un éter nel mur mur e de prièr es.
Pour ce qui est des autr es, qu’ils s’ép ar gnent l’ ennui de commencer
à me lir e ; ils ne me compr endraient p as ; je leur ferais l’ effet de chanter
des choses monotones et confuses, env elopp é es de rê v e . . .
n
4CHAP I T RE I
26 mar s 1889.
D es côtes sud de l’Esp agne , d’ Alg ésiras, de Gibraltar , on ap er çoit
làbas, sur l’autr e riv e de la mer , T ang er la Blanche .
Elle est tout près de notr e Eur op e , cee pr emièr e ville mar o caine , p
osé e comme en v e dee sur la p ointe la plus nord de l’ Afrique ; en tr ois
ou quatr e heur es, des p aqueb ots y conduisent, et une grande quantité de
touristes y viennent chaque hiv er . Elle est très banalisé e aujourd’hui, et
le sultan du Mar o c a pris le p arti d’ en fair e le demi-abandon aux visiteur s
étrang er s, d’ en détour ner ses r eg ards comme d’une ville infidèle .
V ue du lar g e , elle semble pr esque riante , av e c ses villas alentour bâties
à l’ eur op é enne dans des jardins ; un p eu étrang e encor e cep endant, et
r esté e bien plus musulmane d’asp e ct que nos villes d’ Alg érie , av e c ses
mur s d’une neig euse blancheur , sa haute casbah crénelé e , et ses minar ets
plaqués de vieilles faïences.
††
5A u Mar o c Chapitr e I
C’ est curieux même comme l’impr ession d’ar rivé e est ici plus
saisissante que dans aucun des autr es p orts africains de la Mé diter rané e .
Malgré les touristes qui débar quent av e c moi, malgré les quelques enseignes
françaises qui s’étalent çà et là de vant des hôtels ou des bazar s, — en
meant pie d à ter r e aujourd’hui sur ce quai de T ang er au b e au soleil du
midi, — j’ai le sentiment d’un r e cul subit à trav er s les temps antérieur s. . .
Comme c’ est loin tout à coup , l’Esp agne où l’ on était ce matin, le
chemin de fer , le p aqueb ot rapide et confortable , l’ép o que où l’ on cr o yait
viv r e !. . . Ici, il y a quelque chose comme un suair e blanc qui tomb e ,
éteignant les br uits d’ailleur s, ar rêtant toutes les mo der nes agitations de la
vie : le vieux suair e de l’Islam, qui sans doute va b e aucoup s’ép aissir
autour de nous dans quelques jour s quand nous nous ser ons enfoncés plus
avant dans ce p ay s sombr e , mais qui est déjà sensible dès l’ab ord p our
nos imaginations fraîchement émoulues d’Eur op e .
D eux g ardes au ser vice de notr e ministr e , Sélem et K addour , p ar eils à
des figur es bibliques dans leur s longs vêtements de laine floante , nous
aendent au débar cadèr e p our nous conduir e à la lég ation de France .
Ils nous pré cèdent grav ement, é cartant de notr e r oute , av e c des
bâtons, les innombrables p etits ânes qui r emplacent ic