Éric Denécé Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
«S intéresser au renseignement relève d’une pathologie particulière» me déclarat ’ Constantn Melnk lors d’une de nos premères rencontres. «En France, vous le savez, quasiment tout le monde s’en fout. Il faut donc être un peu masochiste pour nourrir une passion pour cette cause presque perdue.» En dépt de cette constataton désabusée, l’homme pour-sut nlassablement son œuvre d’essayste, de romancer et de pédagogue sur ce qu’l appelle « le grand jeu », en référence à Rudyard Kplng. Il tent en très haute estme ce « méter de segneur » s décré dans l’Heagone : «Notre art – on peut parler d’art – consiste à capter le fait révélateur qui, caché par l’adversaire qui nous menace, permet d’appréhender le puzzle fascinant de l’Histoire1. » Il est essentel de rappeler, pour les plus jeunes lecteurs – et pour ceu qu lront cet ouvrage longtemps après sa publcaton – quel personnage hors du commun est Constantn Melnk, acteur et témon prvlégé de l’évoluton du rensegnement et de la poltque nternatonale depus le mleu du xxesècle.
Un singulier parcours Constantn Melnk naît à Nce à la fi n des années 1920. D’ascendance ukra-nenne, l est le pett-fi ls de Ievguen Botkne, médecn personnel du tsar Ncolas II, qu fut eécuté avec la famlle mpérale en jullet 1918. Son père, offi cer des tralleurs sbérens, préféra émgrer que de vvre dans la Russe rouge, dont l combattt l’avène-ment. Après de brllantes études secondares – l obtent le Grand Pr du lycée de Nce en 1934 – le jeune Constantn entre à Scences-Po Pars. Il sort premer de sa promoton à vngt et un ans, mas décde de tourner le dos à l’ENA. Il entre alors au Sénat en tant que secrétare du plus mportant groupe poltque de l’époque, celu de la Gauche démocratque, regroupant les radcau, le centre-gauche et certans gaullstes. Il devent également le dscple et l’am de Raymond Aron. Brllant analyste de l’Unon sovétque et du communsme nternatonal, Constantn Melnk fat profiter de son epertse, durant la guerre frode, le Vatcan, Charles Brune – mnstre de l’Intéreur de la IVeRépublque – (1951-52) et le 2eBureau
1 Constantn Melnk,Lettres à une jeune espionne, Plon, 1997, pp. 13-14.
de l’état-major général de la Défense natonale du maréchal Jun (1952-53), avant de devenr conseller stratégque de Mchel Debré, le premer Premer mnstre du géné-ral de Gaulle, avec lequel l entretent des relatons d’amté. Parallèlement, en 1954, l devent le premer conseller étranger de la Rand Corporaton, pour laquelle l travalle régulèrement. En 1959, alors qu’l s’apprête à partr rejondre lethink tankamércan en Cal-forne, Mchel Debré lu propose le poste de coordnateur de l’ensemble des servces de polce et de rensegnement cvls, en plene guerre d’Algére. Constantn Melnk accepte ; l est alors âgé de trente-deu ans. Il assumera cette foncton pendant les tros dernères années de la guerre d’Algére (1959-1962), qu verront l’apogée du terrorsme FLN, pus de l’OAS. En rason du désntérêt de Mchel Debré pour la guerre secrète – et de la confiance qu’l accorde à Constantn Melnk – le conseller technque du Premer mns-tre pour les questons de sécurté et de rensegnement devent,de facto, un vértable vce-Premer mnstre en charge des servces. Il est amené à lre tous leur rapports et assure leur coordnaton et leur bon fonctonnement : Sûreté natonale, DST, Rensegnements générau, polce judcare, SDECE et, dans une mondre mesure, de la préfecture de polce de Pars, tenue alors par Maurce Papon. Il est également, à Matgnon, l’nterlocu-teur de Allen Dulles, le drecteur de la CIA, et du général Renhardt Gehlen, le créateur du BND, le servce de rensegnement ouest-allemand. A trente-deu ans, Constantn Melnk occupe une foncton centrale pour la sécurté de notre pays et tout à fat unque dans l’hstore natonale. Un jour, un hstoren russe lu déclarera : «Il n’y a eu dans l’histoire de la France que deux hommes ayant eu un tel pouvoir : Fouché et vous.» Perre Vansson-Ponté écrra également dansLe Monde, en 1961 : «aux lumières de son plus intime collaborateur,Le premier des ministres fera appel avant tout M. Constantin Melnik. Derrière ce patronyme slave et ce prénom impérial se trouve l’une des plus influentes personnalités de la VeMelnik se soucie peu d’être inconnu duRépublique. M. grand public (...), les initiés savent qu’il partage tous les secrets, connaît toutes les clefs, possède toute la confiance.» Le secret et les pouvors occultes qu’on lu prête dérangent toujours dans la socété françase, peu au fat des questons de rensegnement. Constantn Melnk, alors totalement nconnu, fut ans projeté au cœur d’une pette tempête médatque et polt-que. Son rôle eceptonnel, sa dscréton, son amour du secret lu valurent alors quelques surnoms mémorables. Le Qua d’Orsay le dénomma le « SDECE tartare ». La presse françase qu se déchaînat contre lu en fi t « le Serbo-Croate de servce » (Le Canard enchaîné). Cela ra jusqu’à des nventons pures et smples, savamment orchestrées par Moscou, très nquet qu’un analyste de cette qualté pusse lre dans son jeu avec tant d’asance en rason de ses orgnes russes. Elles furent toutes relayées par une presse heagonale crédule et avde de sensatonnel, qu contnue hélas à se nourrr de fantas-mes qu’elle contrbue à entretenr. Au cours des tros années passées à coordonner l’acton des servces, Constantn Melnk ne rencontra jamas Charles de Gaulle, en dehors de quelques pognées de man échangées dans les réunons offi celles. Le général ne le convoqua à aucune réunon de traval et ne lu donna, pendant toute la durée de la guerre, aucune nstructon quant à ses buts et objectfs. Dès la fi n du conflt algéren, l fut brutalement écarté des affares, sans aucune reconnassance du chef de l’État.
Constantn Melnk entamera alors, avec succès, une nouvelle carrère dans l’édton. Il sera à l’orgne de la découverte d’auteurs alors nconnus à qu l confi era des sujets à la mesure de leur talent : Glles Perrault (L’Orchestre rouge), Jean-Franços Stener (Treblinka)ou Roger Bornche. Il devent également l’am et le conseller édtoral du colonel Remy1et de Mare-Madelene Fourcade2, deu figures eceptonnelles de la Résstance. Son epérence à Matgnon lu nsprera également de nombreu essas et romans. Il nvestra près d’un dem-sècle dans l’observaton et l’étude du rensegne-ment, ce qu lu vaut d’être mondalement reconnu comme epert en la matère. CettecourtebographedeConstantnMelnkpermetdemeucomprendrele parcours et les compétences de l’homme qu nous lvre une réfl eon unque sur le méter du rensegnement et son rôle dans l’hstore : l en a à la fos l’epérence et les qualtés. Certes, comme l le reconnaît volonters lu-même, l n’a jamas été membre d’un servce de rensegnement et n’a condut aucune opératon de terran. C’est un analyste et un « poltque », qu a toujours consdéré le rensegnement du pont de vue de l’utlsateur. Pour lu, « n en soi, mais un instrument deLe renseignement n’est pas une fi la décision politique3» Le rensegnement ne l’ntéresse que parce qu’l est un nstrument. du pouvor.
Une vision lucide du renseignement
Cet avocat convancu du rensegnement n’en est pas mons d’une grande lucdté sur la plus velle professon du monde et ses apports à l’hstore : «Si les services secrets sont un acteur important de l’Histoire, ils n’en sont pas le facteur unique. (…) Je ne connais d’ailleurs que de rares cas où l’action des services secrets ait joué un rôle véritablement décisif : lorsque les Alliés sont parvenus à fabriquer un double de la machine à coder de Hitler, permettant ainsi aux états-majors anglo-américains de lire à cœur ouvert dans les opérations militaires du IlleReich, ou lorsque les Soviétiques s’emparèrent des secrets de fabrication de la bombe atomique américaine, donnant ainsi la possibilité au Saint Empire de disposer de l’arme nucléaire malgré son retard technologique en la matière4. » Il n’a jamas cessé de plader pour une melleure connassance du rensegnement et de tordre le cou à la mythologe grossère et au fantasmes des amateurs « d’espon-nage ». Celle-c peut-être partculèrement dangereuse et néfaste, comme en témognent les propos que lu tnt Allen Dulles – qu drgea la CIA de 1953 à 1961 – au cours d’une de leurs rencontres : «L’ennui de notre activité, (…) c’est que les hommes politiques nous prennent pour Dieu5».
1 Glbert Renault – alas colonel Remy – fut l‘un des plus etraordnares acteurs du rensegne-ment allé au cours de la Seconde Guerre mondale. Dès 1940, l passe en Angleterre et rejont les servces secrets de la France lbre. Il revent alors en France créer son propre réseau de rensegne-ment, dénommé Confrére Notre-Dame. Ce réseau fut l’un des plus mportants de la zone occupée. Intalement centré sur la façade Atlantque, l fi nt par couvrr la France occupée et la Belgque. Il contrbua, par ses efforts, au succès du débarquement de jun 1944. 2 Mare-Madelene Fourcade devnt responsable du réseau de résstance Allance après l’arresta-ton de son fondateur, George Loustanau-Lacau. Elle le drgera jusqu’à la captulaton allemande. 3 Constantn Melnk,Un espion dans le siècle. La diagonale du double, Plon, 1994, p. 207. 4 Constantn Melnk,Politiquement incorrect, Plon, 1999, p. 240. 5 C. Melnk,Un espion dans le siècle…, p. 291.
Constantn Melnk n’a jamas consdéré que les servces spécau pouvaent changer le monde. Ce serat leur prêter une pussance qu’ls n’ont pas. Ils ne peuvent être «que le soutien et l’amplifi cateur de forces existant déjà1». Leur rôle se lmte à ader «l’histoire à accoucher de ce qu’elle port[e] en son sein. Ils n’[ont] pas à assouvir les rancunes et les fantasmes des hommes politiques2». Car les rapports entre le pouvor et le rensegnement sont ambgus, partculè-rement en France. «Plus le service est efficace, plus il sera ressenti comme dangereux par un personnel politique en la matière ignare et pusillanime. Un brillant causeur est toujours plus rassurant qu’un homme d’action et, pour faire carrière dans ce métier-là, une conférence réussie, une conversation colorée, la servilité souriante d’un garde-à-vous, un passé ayant su soigneu-sement éviter toute prise de décision ont été de tout temps, les exemples pullulent, préférables à un palmarès riche de trop d’opérations clandestines réussies3. »
Un regard critique sur le renseignement français
Dans les pages qu suvent, le lecteur notera que jamas les servces franças ne servent d’eemple au réfl eons de Constantn Melnk. Le crédt qu’l leur accorde est ben mnce : «Est-il utile de s’appesantir outre mesure sur les services secrets français ? Ils sont les moins performants du monde civilisé, à la disposition d’un pays qui – mis à part ses agissements, d’ailleurs douteux, en Afrique – ne joue dans laRealpoltkduXXesiècle finissant qu’un rôle découlant de l’idée qu’il se fait ou qu’on se fait de lui4. » Ce ne sont pas les femmes et les hommes qu oeuvrent dans l’ombre, au profi t de notre sécurté, auquels l’auteur adresse ses crtques. C’est à la classe poltque qu est responsable d’un système sous-dmensonné, n’attrant jamas les éltes de la naton, en rason du peu de prestge dont jout cette foncton pourtant essentelle, mas jamas propce à la promoton personnelle. Ce jugement sans concesson est fondé sur une amère epérence. Melnk a pu constater que le général de Gaulle ne comprenat ren au servces spécau modernes, dont les analyses ne pouvaent d’alleurs qu’entrer en concurrence avec ses propres talents de vsonnare. Lorsqu’un membre des servces lu présentat un eposé argu-menté sur tel ou tel aspect de la stuaton nternatonale, le général lu répondat sou-vent : «Vous avez peut-être raison, mais vous ne m’avez pas convaincu5» et l agssat selon son ntuton. Pourtant, durant la guerre d’Algére, le SDECE rendt des servces mportants. «Malgré des moyens humains et fi nanciers dérisoires et une conception désuète car trop mili-taire, (…) [le service] désorganisera le trafi c d’armes, entamera les négociations désirées par de Gaulle, participera à la création de l’environnement international favorable à la politique du chef de l’État6. » Mas à l’ssue du confl t algéren, de Gaulle «se refusera à créer le grand service de renseignement politique de temps de paix que méritai[t] [la France] et que le général Grossin et
1Ibid, p. 364. 2Idem. 3 Constantn Melnk,1 000 jours à Matignon, Grasset, 1988, p. 253. 4 C. Melnk,Politiquement incorrect…, p. 264, appendce n° 2. 5 C. Melnk,Lettres à une jeune espionne…, p. 69. 6 C. Melnk,1 000 jours à Matignon…, p. 252.
moi réclamions, mollement soutenus par un Michel Debré assez néophyte en ces domaines-là1». Constantn Melnk consdère comme catastrophque la décson du général de Gaulle de rattacher les servces spécau au mnstère des Armées : «Cette manifestation de gâtisme militaire transformera ce qui aurait dû être une organisation dynamique ouverte sur la société civile en une espèce de caserne assoupie, confi ée à des généraux aux digestions heureuses, voire à des mégalomanes de haut vol, et «pénétrée» jusqu’à l’inconcevable par les services secrets 2 soviétiques. » Le général n’état pas le seul à nourrr un tel désntérêt. «Pourquoi s’obstiner– dt un jour Georges Pompdou à Constantn Melnk, alors que ce derner état venu le consulter à la banque Rothschld –à vouloir réformer ce qui est parfaitement inutile ? N’importe quel banquier en sait mille fois plus long sur les affaires du monde que votre ramassis d’adjudants-chefs, fussent-ils panachés de ratés de l’Université3». Volà qu en dt long sur la consdératon qu’ont eu les drgeants poltques de la VeRépublque pour le rensegnement. Dans notre pays, les hommes de pouvor contnuent «à considérer leurs services spéciaux avec la sympathie terrifi ée qu’éprouvait pour son avenante création l’inventif docteur Frankenstein».
L’œil sur Moscou
Ben qu’l at combattu le KGB pendant toute sa ve, Constantn Melnk se lera d’amté, après la chute du communsme en Russe, avec les prncpau chefs du ren-segnement etéreur de l’URSS. Grâce à ces contacts noués depus 1991 et à sa parfate connassance de la langue russe, Constantn Melnk a pu accéder au analyses des ancens des servces sovétques sur la guerre frode et à certanes de leurs archves. Il a ans pu mesurer l’etrême professonnalsme de nos ancens adversares et les moyens que leur accorda le Kremln, sans comparason avec les dérsores capactés françases. Toutefos, son blan est paradoal. S’l nous révèle l’ecellence de l’école du ren-segnement russe – laquelle dépasse à ses yeu la compétence des Brtannques –, serve par des condtons poltques favorables – l’engouement mondal pour la doctrne com-munste – l constate que cet mpressonnant dspostf de rensegnement et de contre-esponnage n’a serv à ren, car l état au servce d’une déologe aberrante. Son analyse des pratques du rensegnement développées dans le pays de ses ancêtres reste donc lucde et tempérée. Constantn Melnk reconnaît qu’en rason de la nature même du régme communste, les servces de rensegnement sovétques étaent ncapables de comprendre le monde réel dans lequel ls agssaent. Ils «servaient [d]es postulats inébranlables qu’[ils] n’avaient pas pour mission de contester mais de confi rmer4. » (…)«ne servait à rien : elle procurait des sources de lumière àL’agentura démentielle du KGB un aveugle5.» S, pendant la guerre frode, dans les servces occdentau, 70 % du rensegne-ment provenat de l’analyse, «cette proportion n’était que de 25 % au KGB tant les Grands Prêtres du communisme étaient confiants dans leur dogme et ne désiraient obtenir de leurs 1Ibid,p. 253. 2 Constantn Melnk,La mort était leur mission, Plon, 1996 p. 209. 3 C. Melnk,1 000 jours à Matignon…, p. 277. 4 C. Melnk,Lettres à une jeune espionne…, p. 165. 5Idem.
“organes” que des informations croustillantes sur leur adversaire capitaliste ou les juteux secrets de sa belle technologie1». Cela n’a toutefos pas empêché Moscou et ses agences de domner d’une tête les servces occdentau. N’oublons jamas que les plus grands succès du contre-esponnage amércan, brtannque ou franças, sont l’accuel de transfuges des servces du pacte de Varsove et non des recrutements. «Je n’ai rien vécu de plus émouvant que l’agentura venue du Saint Empire communiste. Je dis «venue» et non «recrutée», car la plupart de nos grands agents soviétiques se sont spontanément présentés à nous2. » Les opératons offensves des servces occdentau n’ont connu que de très rares succès face au système polcer sovétque. Sans le rensegnement technque, qu fournt à l’OTAN 80 % des données sur l’Armée rouge, l’Occdent serat resté aveugle et sourd face à l’URSS. Lon de fare l’apologe de nos ennems d’her, l démontre l’effet des mrors déformants ayant esté entre les deu camps pendant la guerre frode, faussant l’appré-caton de la réalté et ayant donné nassance à la légende «d’ogre satanique» du KGB.
Une contribution essentielle à la culture française du renseignement
La connassance du rensegnement qu’a Constantn Melnk est eceptonnelle, au-delà de sa seule epérence. Depus plus de 50 ans, l n’a cessé de réfl échr, d’écrre et de confronter ses ponts de vue et analyses avec tous ceu qu, à l’Est comme à l’Ouest, ont partcpé au « grand jeu . Ses lumères sont donc ncomparables, d’autant qu’elles » vennent combler un vde. Jusqu’à une date très récente, les hstorens franças n’ont jamas prs en compte le rensegnement comme paramètre des relatons nternatonales, n les servces comme des acteurs sgnficatfs de celles-c. D’où la relégaton de cette dscplne au nveau de l’anecdote et l’absence de productons séreuses. Lorsque de rares unverstares se sont nterrogés sur la contrbuton du rensegnement à l’Hstore, leur méconnassance du méter et leur ncapacté à dentfi er les sgnes caractérstques des opératons clandes-tnes les ont conduts à déclarer qu’l n’estat aucune source en la matère. Or, ren n’est plus neact, comme le démontre l’ouvrage de Constantn Melnk. Une hstore du rensegnement est ben possble, à condton de dsposer d’une grlle de lecture adéquate – afin de sasr et de mettre en lumère les manfestatons du monde du secret – et d’un accès au archves des servces. Les espions. Réalités et fantasmesest d’abord un remarquable lvre d’hstore sur l’affrontement des servces secrets au xxesècle. Il retrace, corrge et évalue le rôle du rensegnement human au cours de la Seconde Guerre mondale et de la guerre frode. Les nombreuses révélatons qu’apporte Constantn Melnk, grâce à l’eplotaton des travau des chercheurs amércans et des archves de l’ancen KGB – documents ncon-nus jusqu’c en Occdent – projettent une lumère nouvelle sur de nombreu épso-des de la guerre secrète que se sont lvrées les natons occdentales. Il remet en cause des « vértés » hstorques consdérées jusqu’alors comme certanes et rétablt les fats réels au sujet de certanes grandes affares d’esponnage, notamment celle du célèbre « Orchestre rouge ».
1 C. Melnk,Politiquement incorrect…, pp. 101-102. 2 C. Melnk,Lettres à une jeune espionne…, p. 115.
MasLes espions. Réalités et fantasmesest surtout une réfleon fondamentale sur l’essence même du rensegnement. Cet ouvrage est la premère tentatve séreuse d’ana-lyser la réalté de ce qu’l appelle les «arts de la clandestinité» dans le monde contempo-ran. Constantn Melnk rend fi dèlement compte de la réalté du méter, jusque dans la sémantque et la descrpton précse des tâches et des fonctons des dfférents aspects du rensegnement. C’est là une démarche tout à fat nédte. Il nous offre également une analyse lumneuse et des réfl eons personnelles d’une rare pertnence sur le rôle réel des servces dans la poltque nternatonale du xxeopératons. Ce fasant, l met en évdence l’ncom-sècle et sur la portée de leurs préhenson constante des drgeants poltques, d’où qu’ls vennent, pour la geston de cet nstrument de la rason d’État. «L’importance historique de l’espionnage dépend, en effet et en dernière analyse, d’un facteur qui ne relève pas seulement de l’effi cacité des services de recherche sur le monde extérieur : un rôle essentiel est dévolu à la force ou à la faiblesse des États qui bénéficient d’une manne qui ne saurait être certaine et automatique1. » À aucun moment Constantn Melnk ne sombre dans une admraton béate de ce monde « occulte » qu nourrt toujours, malgré lu, le fantasme. Son lvre est une hstore crtque du rensegnement qu, par certans aspects, relatvse la dscplne et la replace dans un contete d’utlté qu permet de meu percevor sa nécessté. Les espions. Réalités et fantasmesestun ouvrage essentel pour tous ceu qu s’ntéressent au rensegnement, car, comme Constantn Melnk l’a lu-même écrt, «l’espionnage n’imprime pas de manuels et ne professe pas de cours en dehors des hauts murs qui protègent ses Centrales2Sa lecture sédura les néophytes comme les professonnels, les». chercheurs comme les poltques. Il offre une descrpton sans concesson des acteurs, de leurs pratques et de leur nfl uencesur les événements. Démystfi ant de nombreuses dées reçues, l rend le rensegnement plus réalste et accessble, mas auss plus crédble, en mettant en lumère la rgueur de ses méthodes : «Malgré ce qu’en pensent les esprits simples ou ignorants qui le déifi ent – ou le critiquent – à outrance, le renseignement n’est pas une science exacte. Si néanmoins l’on dresse en parallèle la liste de ses impressionnants succès, on ne peut, quelle que soit la gravité de ses ratages et de ses ratés, qu’arriver à une conclusion plus optimiste : une erreur de calcul ne signifi e en rien la fausseté des mathématiques3. » L’ensemble de l’œuvre lttérare de Constantn Melnk est d’une mportance majeure, que sot afi n d’appréhender les affrontements secrets de la guerre frode ou pour comprendre le rensegnement franças et ses relatons avec le pouvor poltque au cours de la seconde moté du xxeL’ouvrage qu’l nous offre aujourd’hu l’est plussècle. encore, car son regard embrasse un horzon plus vaste, qu touche à la phlosophe même de cette dscplne. Nous lu sommes nfi nment reconnassants de cette contrbuton majeure à la « connassance objectve» du plus veu méter du monde.
Éric Denécé
1 Cf. chaptre 13. 2 C. Melnk,Lettres à une jeune espionne…, p. 49. 3 Cf. chaptre 13.
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rage de 456 pages - 26 eu ISBN 978-2-7298-3825-6
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1. UN HOMME SINGULIER
Conseller stratégque du premer Premer mnstre du général de Gaulle, amené à lre la producton de tous les servces secrets et de polce et de tenter d’en assurer la coordnaton et le bon fonctonnement, je me retrouva, malgré ma tendre jeunesse et mon complet anonymat, mas en rason probablement de mes orgnes de « Russe blanc », au cœur d’une pette tempête médatque et poltque. Un plumtf de drote connu pourtant pour ses sympathes à l’égard du Sant Empre communste affi rmat dans sa « lettre confidentelle » que j’étas un dangereu actvste alors que le poltcen de gauche – de Gaulle dsat : « poltchen » –, Charles Hernu, dont personne ne savat qu’l état en contact avec les représentants à Pars des servces secrets de l’Est, se précp-tat chez le préfet de polce pour lu sgnaler le pérl que je fasas courr à la Républque à la tête d’une organsaton secrète d’etrême-drote appelée les « Templers ». Pendant qu’une feulle satrque se déchaînat contre mo, – « le Serbo-Croate de servce » –, un journalste « ben nformé », on ne dsat pas encore « d’nvestgaton », brossat ma bographe dans un hebdomadare moralsateur de la gauche « cavar » : je seras né en Russe, seras arrvé en Europe occdentale dans les fourgons de l’armée htlérenne en retrate et auras fat de l’antcommunsme actf au États-Uns dans les bureau du snstre sénateur McCarthy. Telle est la désnformaton sovétque qu, à la dfférence de la décepton anglo-saonne, fonctonnat en temps de pa. Sur le plan technque, la désnformaton russe s’appuyat pourtant, telle la décepton anglo-saonne, sur des fats certes fau mas auss vrasemblables que pos-sble. Mes orgnes russes, soulgnées par « un nom slave et un prénom mpéral » comme l’écrvatLe Monde– « Changez de nom » m’avat fort justement consellé mon premer mentor dans la ve poltque françase, le remarquable mnstre de l’Intéreur radcal-socalste de la IVeRépublque, Charles Brune – pouvaent prêter à toutes les confusons et nterprétatons pour qu ne connassat pas ma nassance à Grenoble, mes études à Nce durant l’Occupaton ou à Scences-Po Pars après la Lbératon. Quant au mystéreu « Templers » dont j’auras été le chef nocf et omnpussant – je n’a jamas fat parte d’aucune organsaton secrète n même d’aucun part poltque –, le Centre de Moscou ne pouvat gnorer la mason que j’habtas dans une lontane campagne – mes fables ressources ne me permettaent pas de m’offrr un appartement à Pars – car j’étas abonné à toute la presse sovétque dans le cadre de mon traval d’analyste du Sant Empre communste non pour l’gnoble sénateur McCarthy mas pour l’apoltque et lbérale Rand Corporaton amércane. Or la consultaton du premer gude tourst-que venu – les servces secrets ne néglgent pas la documentaton ouverte – ne pouvat que fare apparaître que mon ravssant vllage avat été au Moyen Âge un haut leu du Temple avant sa destructon par la royauté…
2. À QUOI DONC SERT L’ESPIONNAGE ?
L’esponnage est tel une mne d’or et l faut brasser beaucoup de sable pour en etrare une pépte qu’l ne faut pas, pour autant, confondre, comme le font hélas les auteurs fascnés par le seul mot « esponnage », avec les tonnes de vulgare calcare lassées au bord de la rvère. Ben pratqué et placé entre de bonnes mans, l’esponnage est une arme de pa. Le plus ggantesque choc de blndés de la Seconde Guerre mondale aurat dû, en tout état de cause, tourner à l’avantage de l’Unon sovétque devenue, après deu ans de guerre et massvement adée par la ttanesque ndustre amércane, ndubta-blement plus pussante que l’Allemagne et serve, face à une Wehrmacht ébranlée par deu échecs successfs devant Moscou et à Stalngrad, par l’héroïsme d’un peuple russe défendant son sol natal. Mas les messages allemands décryptés par les Anglas et, transms au Russes par un John Carncross mons connu que Km Phlby, ont perms de détrure les concentratons aérennes, d’artllere et de blndés nazs à Koursk quelques mnutes seulement avant qu’elles ne passent à l’offensve et pus de suvre, presque en temps réel, les manœuvres des Panzers htlérens. L’mportance hstorque de l’esponnage dépend, en effet et en dernère analyse, d’un facteur qu ne relève pas seulement de l’effi cacté des servces de recherche sur le monde etéreur : un rôle essentel est dévolu à la force ou à la fablesse des États qu bénéficent d’une manne qu ne saurat être certane et automatque. D’une part malgré ce que prétendent les auteurs à sensaton magnfi ant le rôle de « l’espon qu a gagné la guerre à lu tout seul », une nformaton solée d’une unque « source humane » peut dffi clementamener seule un pouvor à orenter – vore chan-ger – sa poltque s elle n’est pas « recoupée » par un nombre de rensegnements ou d’analyses allant dans sa drecton. L’nformaton de Rchard Zorgué, affi rmant que le Japon n’avat pas l’ntenton d’attaquer l’URSS, lttéralement vtale pour la défense de Moscou menacée en décembre 1941 par la percée des blndés nazs et pour toute la condute des opératons mltares sur le front de l’Est, les messages allemands d’Engma décryptés par les Anglas et transms au Russes par Carncross concernant la pré-paraton d’une offensve blndée naze en 1943 dans la régon de Koursk ont dû être ans soutenus par les rensegnements – reconnassances aérennes, nterceptons rado, nterrogatores de prsonners, etc. – collectés « sur zone », comme on dt de nos jours, par les servces de rensegnement mltares sovétques et établssant sot l’état des forces japonases accumulées sur la frontère russe d’Etrême-Orent sot le dspostf htléren à Koursk. « L’ennu de ce méter, constatat l’avons-nous vu Allen Dulles, c’est que les gens vous prennent pour Deu. ». Il n’est pas possble non plus de collecter des rensegne-