POLITIQUE AFRICAINE Pouvoirs sorciers - n° 79 - octobre 2000

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79 POLITIQUE AFRICAINE P ouvoirs sorciers La tradition de l’invention L’afrocentrisme en débat 79 n° 79 - octobre 2000 trimestriel p o l i t i q u ea f r i c a i n e Pouvoirs sorciers Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris politique africaine Rédaction Université Paris-I. Centre d'études juridiques et politiques du monde africain. 9, rue Malher, 75181 Paris Cedex 04. Tél.: 01 44 78 33 23. Fax: 01 44 78 33 25. e-mailpolitique.africaine@univ-paris1.fr Rédacteur en chefRichard Banégas. RédactionRémy Bazenguissa-Ganga, Béatrice Hibou, Christine Messiant, Patrick Quantin, Janet Roitman (avec la collaboration de Michèle Boin). Secrétaire de rédactionSylvie Tailland. Conseil rédactionnelJean-Pierre Chrétien, Stephen Ellis, Ruth Marshall-Fratani, Pierre Janin, Émile Le Bris, Étienne Le Roy, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Alain Ricard, Comi Toulabor. Directeur de la publicationComi Toulabor. La revuepolitique africaineest publiée par l’Association des chercheurs de politique africaine (président, Comi Toulabor; trésorier, Pierre Janin).
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Publié par

Publié le

01 octobre 2000

EAN13

9782811100582

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

79
POLITIQUE AFRICAINE
P ouvoirs sorciers
La tradition de l’invention
L’afrocentrisme en débat
79
n° 79 - octobre 2000 trimestriel
p o l i t i q u e a f r i c a i n e
Pouvoirs sorciers
Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris
politique africaine Rédaction Université Paris-I. Centre d'études juridiques et politiques du monde africain. 9, rue Malher, 75181 Paris Cedex 04. Tél.: 01 44 78 33 23. Fax: 01 44 78 33 25. e-mailpolitique.africaine@univ-paris1.fr Rédacteur en chefRichard Banégas. RédactionRémy Bazenguissa-Ganga, Béatrice Hibou, Christine Messiant, Patrick Quantin, Janet Roitman (avec la collaboration de Michèle Boin). Secrétaire de rédactionSylvie Tailland. Conseil rédactionnelJean-Pierre Chrétien, Stephen Ellis, Ruth Marshall-Fratani, Pierre Janin, Émile Le Bris, Étienne Le Roy, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Alain Ricard, Comi Toulabor. Directeur de la publicationComi Toulabor. La revuepolitique afric aineest publiée par l’Association des chercheurs de politique africaine (président, Comi Toulabor; trésorier, Pierre Janin). Avec le soutien du département de Science politique de l'université Paris-I, de l'UPRESA «Mutations africaines dans la longue durée», du Centre d’études et de recherches internationales (Fondation nationale des sciences politiques), du Centr e d’études d’Afrique noire (Institut d’études politiques de Bordeaux), du Centre de recherches et d’études sur les pays d’Afrique orientale (université de Pau et des Pays de l’Adour), de l ’Institut de r echerche sur le développement (IRD-ORSTOMde l ’Afrika) et Studiecentrum de Leiden (Pays-Bas). Avec le concours du Centre national de la recherche scientifique et du Centre national du livre. politique africaineest une revue à comité de lecture. Les manuscrits doivent parvenir de préférence en français. Les opinions émises n’engagent que leurs auteurs. Larevuenestpasresponsabledesmanuscritsquiluisontconfiésetseréserveledroit de modifier les articles pour des raisons éditoriales. Édition, ventes et abonnements Karthala, 22-24, boulevard Arago, 75013 Paris. Tél.: 01 43 31 15 59. Fax: 01 45 35 27 05. e-mailkarthala@wanadoo.frsite Internethttp://www.karthala.com Bulletin d’abonnement et bon de commande en fin d’ouvrage. © Éditions KARTHALA, 2000. Conception graphiqueGhislaine Garcin. Couverture© «Fétiche à clous», Zaïre, Congo.
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Politique africaine
n° 79 - octobre 2000
le Dossier Pouvoirs sorciers
Dynamiques de l’invisible en Afrique Florence Bernault et Joseph Tonda Sorcellerie et modernité : retour sur une étrange complicité Peter Geschiere La sorcellerie comme mode de causalité politique Michael G. Schatzberg Capital sorcier et travail de Dieu Joseph Tonda Armes mystiques. Quelques éléments de réflexion à partir de la guerre du Liberia Stephen Ellis Histoire africaine, histoire orale et vampires. Procès et palabres à Kampala dans les années 50 Luise White.
Pistes de recherche La tradition de l’invention en Afrique équatoriale Jane I. Guyer
Magazine Terrain.La charia dans le Nord-Nigeria Murray Last Terrain.Émeutes et élections à Maurice Catherine Boudet
Lectures Autour d’un livre.Afrocentrism, de Stephen Howe, etAfrocentrismes. L’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, de Jean-Pierre chrétien, François-Xavier Fauvelle-Aymar et Claude-Hélène Perrot (dir.), par Mohamed Mbodj, Jean Copans et Wim van Binsbergen
La revue des livres La revue des revues
Abstracts
LEDOSSIER 5Pouvoirs sorciers
coordonné par Florence Bernault et Joseph Tonda
Introduction au thème Dynamiques de l’invisible en Afrique
Rumeurs de meurtres diaboliques, politiciens accusés d’utiliser associations secrètes et «médicaments» pour assurer leur succès, psychoses urbaines d’en-lèvements d’enfants ou de jeunes femmes victimes de démembrements rituels, conflits domestiques et de voisinage recourant aux accusations de sorcellerie: il n’est pas de conversation, d’émission de radio ou de presse populaire en Afrique qui ne se fasse aujourd’hui l’écho de peurs et de convoitises liées à la magie, la sorcellerie et la violence quotidienne des forces occultes. Ainsi, contraire-ment à certaines hypothèses tiers-mondistes des années 60-70 promptes à pré-dire le déclin des superstitions sous les coups de boutoir du développement économique, de la vie citadine, de la culture écrite et des grandes religions monothéistes, la sorcellerie n’a pas disparu en Afrique et s’affirme aujourd’hui comme une catégorie incontournable de la vie publique et privée. Faut-il expli-quer ce phénomène seulement par l’échec actuel des modèles développemen-talistes ou des injonctions de la Banque mondiale? La sorcellerie disparaîtrait-elle en Afrique si l’islam, le christianisme, l’aisance économique y triomphaient? Le monde occidental, où les superstitions de tout genre prospèrent aujourd’hui à qui mieux mieux, rappelle au contraire que la «modernité», au nord ou au sud, est fort peu synonyme de désenchantement du monde. Il n’est donc guère utile de singulariser l’Afrique en faisant de la sorcelle-rie un exotisme de plus. Sans doute vaut-il mieux se laisser porter par la formidable vague épistémologique de ce début de siècle, qui nous entraîne
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de plus en plus à confronter points de vue, concepts, et aires de recherche. L’une des avancées scientifiques importantes du renouveau des études sur la sorcellerie est justement, à travers les interrogations liant sorcellerie et modernité, sorcellerie et mondialisation (économique, culturelle ou spiri-tuelle), de permettre aux africanistes de réfléchir à la fois sur les ancrages locaux des processus culturels et économiques, et sur les flux d’ampleur 1 continentale et mondiale qui leur donnent en partie forme . Ce nouveau contexte intellectuel constitue l’un des attraits évidents, sinon l’un des pièges de cette recherche. En Afrique, la prospérité actuelle de la sorcellerie dans l’imaginaire et les pratiques du quotidien s’accompagne sur le plan scientifique d’un véritable renouveau, où domine le livre récent de Peter Geschiere,Sorcellerie et poli-2 tique en Afrique. La viande des autres, qui invite à replacer l’analyse de la sorcellerie dans l’appréhension plus large de la modernité africaine. Depuis 3 l’étude pionnière d’Evans-Pritchard en 1937,les anthropologues tendaient majoritairement à localiser les rituels sorciers au sein des sociétés r urales dites traditionnelles, et à en expliquer la fonction par la nécessité du main-4 tien de l’harmonie sociale . Dans les années 90, le renouveau des études a 5 pris également sa source parmi les anthropologues et les politistes , mais cette fois pour souligner l’extraordinaire vitalité de la sorcellerie au sein des instances les plus modernes des sociétés africaines: champ urbain aussi bien que rural, discours des élites et de l’État aussi bien que de la culture popu-laire, nouveaux conflits parentaux et sociaux. De plus, ces travaux ont com-mencé à déconstruire les anciennes approches fonctionnalistes en insistant sur le caractèr e complexe et multiforme de la sorcellerie contemporaine. On sait comment, par exemple, la sorcellerie peut être utilisée dans un même groupe à la fois comme égalisateur social et comme outil d’accumu-6 lation économique et politique . Deux approches intellectuelles paraissent dominer dans les études qui se multiplient aujourd’hui. Il semble d’abord y avoir un relatif consensus sur le fait que la sorcellerie moderne est liée à l’impact de la globalisation (que l’on fasse commencer celle-ci pendant la période coloniale ou plus tard), et que sa nature ambivalente provient de l’articulation entre des valeurs ancien-nes, traditionnelles et locales, et les nouveaux flux du commerce interrégio-nal et international (la fameuse marchandisation des objets, des hommes et 7 des idées ). Dans cette perspective, les chercheurs hésitent pour l’instant à
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trancher entre deux idées: la sorcellerie comme manifestation de l’irruption du «moderne» en Afrique ou, au contraire, comme symptôme d’un retour régressif à une «tradition» archaïque et défensive. Peter Geschiere explore dans ce dossier les conséquences épistémologiques de telles positions et réflé-chit, avec son érudition habituelle, aux problèmes que soulève le retour de la sorcellerie comme catégorie d’analyse au moment où certains croient déceler en Afrique des tendances fortes au recul politique et culturel. Nous propo-sons ci-dessous quelques réflexions supplémentaires sur ce point, idées explo-rées plus systématiquement par l’article de Joseph Tonda sur la sorcellerie comme capital et comme ressource. Le second consensus qui semble régner parmi les chercheurs est que la sor-cellerie est affair e de pouvoir, mais un pouv oir déstructuré, en constant changement, accaparé ou rêvé, ici et là, par toute la gamme des acteurs sociaux. Pas question désormais de s’engager dans les impasses de l’ancienne anthropologie et d’assigner des fonctions claires aux rituels et croyances de locculteetduspirituel.Lasorcellerieneseraitpasouplus?unsystème ritualisé, monopolisé par une classe de spécialistes, destiné à restaurer l’har-monie sociale. C’est aujourd’hui un langage fluctuant autant qu’un nombre de techniques sans cesse changeantes, offertes à tout venant. Mais ce lan-gage, ces pratiques obéissent sans doute à une préoccupation centrale: ordonner les rapports de forces dans le concret ou dans l’imaginaire. Dans cette perspective, il est sans doute fructueux de considérer la sor-cellerie comme ressource, énergie ou capital dont disposeraient ou non les
1. Voir sur ce point J. et J. Comaroff,Modernity and its Malcontents. Ritual and Power in Postcolonial Africa,Chicago, University of Chicago Press, 1993; A. Appadurai,Modernity at Large. Cultural Dimen-sions of Modernization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996; B. Meyer et P. Geschiere (eds),Globalization and Identity. Dialectics of Flow and Closure, Oxford, Blackwell Publishers, 1999. 2. P. Geschiere,Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres,Paris, Karthala, 1995. 3. E. E. Evans-Pritchard,Witchcraft, Oracles and Magic among the Azande,Oxford, The Clarendon Press, 1937. 4. Voir les ouvrages de J. Middleton (ed.),Magic, Witchcraft and Curing, New York, The Natural History Press, 1967, et M. Douglas (ed.),Witchcraft Confessions and Accusations, Londres, Tavistock Publications, 1970. 5. Notamment J. et J. Comaroff,Modernity and its Malcontents…, op. cit.,et P. Geschiere,Sorcellerie et politique en Afrique…, op. cit. 6. Voir J.-P. Warnier,L’Esprit d’entreprise au Cameroun, Paris, Karthala, 1993. 7. A. Appadurai (ed.),The Social Life of Things. Commodities in C ultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.
LEDOSSIER 8Pouvoirs sorciers
individus en fonction des situations et des positions occupées dans l’organi-8 sation des rapports de forces . C’est dans le cadre de ces rapports de forces que tout espace vidé, tout écart creusé, toute béance produite dans les struc-tures relationnelles (parentales, villageoises, urbaines, et dans leurs spéci-fications professionnelles, politiques, de voisinage, etc.), ainsi que dans les structures mentales et affectives, appellent la sorcellerie en tant qu’elle est simultanément ressource ou capital d’ordonnancement du monde, techni-que ou moyen de réduction et de réalisation des écarts. L’ambivalence de la sorcellerie, la réversibilité de principe des situations et des positions qu’elle implique, sa facilité à accumuler ou additionner les registres et son pouvoir d’adaptabilité et de coupure expliquent la diversité d’images où dominent tour à tour l’héritage des rituels anciens de guérison et les mises en scène mo-r bides de la destruction des faibles et des victimes. Parce que les ébranlements, les déchirures, les décompositions et les instabilités de la sphère domestique de la parenté, comme ceux du domaine de l’économie et de la sphère publi-que de l’État, sont de plus en plus catastrophiques, les écarts, les vides et les béances qu’ils produisent dans le système des positions de force constituent autant d’espaces où peut s’investir et se démultiplier violemment la puissance implosive de la sorcellerie. Dans une telle configuration socio-historique se pose alors le problème de la localisation de l’autorité et de l’ancrage des conflits familiaux et politiques. D’autant que la prolifération des rites occultes, la multiplication des offres de magie, leur dissémination et leur cap-tation par des catégories sociales larges, bien au-delà des groupes de praticiens reconnus, interrogent sur la configuration actuelle des idiomes du spirituel et du pouvoir. Le texte de Stephen Ellis, en engageant la discussion sur le sens du mot sorcellerie, montre comment les pouvoirs sorciers au Liberia sont un «avoir», e un «instrument» que les élites vont acquérir, auXXsiècle, à la faveur du processus d’assimilation réciproque entre colons de la côte et chefferies de l’intérieur pour former des alliances et se faire la guerre entre elles. L’histoire qui aboutit à ces usages modernes de pouvoirs anciens – la guerre civile et ses massacres – est édifiante. Dans ce processus d’emballement et de dégra-dation générale subtilement dénoué par S. Ellis, ce qui prime est la structure des rapports de forces et leur dynamique propre, qui conduit à la convoca-tion des pouvoirs «sorciers», et non le contraire. La sorcellerie ne préexiste pas aux rapports de forces et n’en est pas séparable. Si l’on décrit la sorcel-
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lerie en termes de ressources, il faut donc éviter de la réduire à une donnée antédiluvienne, indifférente aux évolutions et recompositions historiques. Les articles réunis dans ce numéro concourent à montrer comment les croyances de l’occulte sont perméables aux influences conjuguées du chris-tianisme, du capitalisme, de la science et des imaginaires de la «modernité» transmises par les médias (les films d’horreur en particulier).
Modernité ou archaïsme ?
Que signifie alors, dans une telle perspective, le sentiment partagé par les Africains et les ethnologues qui les interrogent d’une «prolifération» de la sorcellerie dans la période moderne? Ce sentiment, et la réalité qui le génère, traduirait-il l’idée selon laquelle l’Afrique connaît une invasion sans précé-dent de valeurs culturelles traditionnelles, pour ne pas dire archaïques? Une telle hypothèse nous semble relever d’une illusion. Comment «re-traditionaliser» dans un contexte à la fois d’accentuation des déshérences et d’exaspération des luttes pour l’acquisition de positions et de biens dont la valeur n’est pas définie par les codes culturels de la «tradition»? Les conflits opposant parents, alliés, collègues, amis et adversaires politiques autour de la scolarisation des enfants, des postes dans les administrations publiques ou privées, pour le bénéfice des soins de santé, le contrôle de l’État et l’acqui-sition des biens marchands, toutes ces luttes qui se disent et se parlent dans les termes de la sorcellerie n’ont pas pour objectif, par définition, de situer leurs protagonistes dans le système des valeurs de la «tradition», ni de refonder les solidarités précoloniales. Que signifie la re-traditionalisation ou la régression dans la tradition lorsque ceux qui sont pris dans l’urgence et la nécessité bri-colent, innovent, inventent des solutions inédites – donc non disponibles dans le «stock» des ressources traditionnelles – pour survivre? Les «syncrétismes» chrétiens relayés par les pentecôtismes, autres exem-ples d’innovations ayant partie liée avec la sorcellerie, ne sont pas non plus réductibles à une quelconque tradition, ne serait-ce que parce qu’ils repro-duisent et recomposent la sorcellerie à des échelles qui déconcertent les
8. A. Mary, «Sorcellerie bocaine, sorcellerie africaine. Le social, le symbolique et l’imaginaire», er Cahiers du LASA (Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Caen)trimestre 1987,, 1 pp. 125-173.
LEDOSSIER 10Pouvoirs sorciers
régimes traditionnels du pensable et du possible. Il est par exemple banal, dans une église pentecôtiste de Libreville disposant de tranches horaires d’émission dans une radio locale, d’entendre des «témoignages» de femmes qui accusent publiquement leur père d’être soit leur «mari de nuit», se glis-sant «diaboliquement» dans le lit conjugal, soit d’être des sorciers responsa-bles de leur chômage, stérilité ou célibat. Banal aussi d’écouter des «sœurs et frères en Christ» qui, une fois «convertis», rejettent enfants, maris ou femmes sous prétexte que les non-convertis qui sont dans le «monde» sont des gens de Satan, donc des sorciers. En quoi ces violences inédites faites à la struc-ture d’autorité traditionnelle, ces stratégies de «déparentélisation» consti-tuent-elles des procès de re-traditionalisation? Si l’on s’interrogeait sur les référentiels dominants des imaginaires de ceux qui inventent leur vie dans l’urgence et dans la précarité, on se rendrait compte que l’argent, les marchandises ou les biens de consommation ordinaire, de subsistance et de prestige en constituent la substance essentielle. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’au moment où René Devisch parle du 9 pillage de Jésus, ce pillage-là estdans les églises de guérison à Kinshasa 10 contemporain de ceux qui ont marqué la fin du régime de Mobutu . Les deux pillages se télescopent ainsi de manière très suggestive, et donnent à penser, peut-être trop facilement, mais pas nécessairement à tort, que piller Jésus, c’est s’approprier par compensation les marchandises que l’on ne peut acquérir,les soins médicaux que l’on ne peut obtenir, la sécurité psychologique et sociale 11 compromise par des dispositifs de violence de l’État-fantôme , le pouvoir social ou politique désiré mais inaccessible, la dignité et l’estime de soi terrible-ment remises en cause et qui se déclinent symboliquement ou matériellement dans les discours et les pratiques à la fois de la sorcellerie et de Jésus. Signe des temps, et de ces phantasmes collectifs d’enrichissement nés des heurts entre la pénurie frappant le plus grand nombre et l’exhibitionnisme arrogant de la minorité possédante: à Brazzaville, une semaine avant le 12 grand conflit de 1997 où les pillages occupèrent une place centrale , la rumeur «vit» apparaître, derrière l’ancien Parlement, à côté du mausolée Marien Ngouabi,Mami Wata, la femme blanche à la beauté indicible vivant dans les grandes eaux par où passent les richesses venues d’Europe. L’horizon qui mobilise les énergies en Afrique – et en particulier l’énergie commune à la sorcellerie et au christianisme – n’est pas l’horizon du passé ou de la tra-dition. Il est celui qui ouvre sur la consommation.
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