Plus de 8 000 visiteurs se sont pressés dans les allées du Salon du livre africain, dont la troisième édition se déroulait à Paris du 15 au 17 mars.
ParJean-Claude Perrier, Créé le 18.03.2024 à 15h50
Ce week-end, il n’y avait pas que devant l’Ambassade de Russie que e l’on faisait la queue. Rue Bonaparte également, devant la Mairie du 6arrondissement, où se tenait la troisième édition du Salon du livre
africain de Paris.Erick Monjour, président de l’association qui le porte, en dresse le bilan, très positif. «Nous avons enregistré cette année une fréquentation en forte hausse, avec plus de 8 000 visiteurs, essentiellement des Africains sub-sahariens de la diaspora, mais aussi des Maghrébins. Les éditeurs présents, plus de 80, dont certains représentés par des libraires, ont très bien vendu, plus que dans un salon "classique". Les auteurs, plus de 200, ont pu dialoguer avec leur public, dédicacer leurs livres, et les rencontres ont fait le plein. On a dû rajouter des tables, et refuser vingt éditeurs, essentiellement français». Parmi les maisons d’édition présentes, dont sept du Maghreb, deux par pays d’Afrique (avec la Côte d’Ivoire comme invitée d’honneur cette année), un du Brésil, un de Guyane, on a remarqué L’Atelier des nomades, de l’Ile Maurice, qui présentait unManifeste pour la lecture, sous-titré « Les auteurs francophones célèbrent le livre ».
Seize écrivains se sont prêtés à une apologie personnelle de la lecture, du livre, de la littérature, menés parAnanda Devi, avec notammentKenza Sefrioui,Johary Ravaloson ouVéronique Massenot. Coup de chapeau également aux Lettres mouchetées, la petite maison créée il y a huit ans à Pointe Noire, en République du Congo, parMuriel Troadec, rejointe en 2022 parMarie Sambay, établie, elle, sur l’autre rive du fleuve Congo, à Kinshasa, République démocratique du Congo. Un de ses auteurs,Dibakana Mankessi, a vu son roman,Le psychanalyste de Brazzaville, récompensé par le Grand prix d’Afrique 2023 des écrivains de langue française. Présent lors de sa remise, l’écrivain a reçu une véritable standing ovation. L’éditrice elle-même a été saluée pour son travail.
Un écosystème fragile
Mais, viaLivres Hebdo, elle lance un véritable SOS : «Nous sommes une petite maison d’édition indépendante. Les auteurs sont vraiment impliqués dans son existence. Les manuscrits affluent, mais nous ne recevons pour l’instant aucune aide, ni des Etats africains, ni de la
francophonie, ni du CNL. Devant l’augmentation de toutes les charges, notre activité même est menacée».
L’autre récompense littéraire décernée au salon, le Prix Beaux Livres de la Maison de l’Afrique 2024, est allée àTextiles africains, un ouvrage en anglais deDuncan Clarke,Vanessa Drake Moraga etSarah Fee, traduit et publié chez Citadelles et Mazenod, en septembre 2022. Erik Monjour insiste sur le rôle de sa manifestation pour «créer des ponts entre les différents salons du livre, nombreux en Afrique, ainsi que des salons européens qui s’intéressent à l’Afrique : Paris, Genève, Berlin, Madrid…».
Besoin d'espace
Le Salon du livre africain de Paris est partenaire des 72 heures de Conakry, qui se tiendront dans la capitale guinéenne les 23-24-25 avril prochains, puis du SILA d’Abidjan, du 14 au 18 mai, dans le cadre du programme Accès Culture mis en place par l’Institut français et L’agence française pour le développement. C’est au SILA que sera voté et décerné le prix Orange du livre en Afrique 2024, dont la sélection finale vient d’être dévoilée. Quant à l’avenir, le président Monjour est bien conscient que la formule actuelle arrive à saturation : «Soit nous trouvons un lieu avec des salles plus importantes, soit, pour rester dans le quartier, nous envisageons de mettre des tentes sur la place Saint-Sulpice, comme cela se fait souvent. Mais c’est une question de budget et de logistiqueconclut- », il. Le tout au service d’un but commun : le livre, dans sa dimension la plus universelle. «J’écris, je lis, je dessine / Pour lire le monde», écrit la Franco-ivoirienneVéronique Tadjo.
YouScribe à la manœuvre
Partenaire majeur du Salon du Livre africain de Paris, la start-up française YouScribe, qui se présente comme une « bibliothèque numérique en streaming », se vit comme « un diffuseur-distributeur de livres », au service des éditeurs, des auteurs, de la chaîne du livre en général. Créée en 2011, l’entreprise, après des débuts modestes, affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros, en progression de 30 à 40 % par an, avec à son catalogue des titres en français, en anglais et en arabe, de quelque 3 000 éditeurs, «dont Gallimard », précise fièrementJuan Pirlot de Corbion, le président. Elle compte 27 salariés pour le moment, 16 en France, 11 en Afrique, et 1,5 million d’abonnés, dont 95 % en Afrique.
Le concept, tout simple mais il fallait y penser, est de «faciliter l’accès au livre numérique dans des pays où le réseau de librairies est inexistant ou insuffisant, et de permettre aux éditeurs d’avoir accès à des pays auxquels ils n’auraient pas accès par le système traditionnel ». Tout cela est à la fois innovant, moderne et sécurisé. Les principaux clients de YouScribe, qui propose des livres, des livres audio, de la presse, des BD et des documents pédagogiques, sont «des particuliers, avec des abonnements à la journée, à la semaine, au mois, des entreprises, écoles, universités, ministères, ou encore des Etats qui n’ont pas forcément les moyens de développer la lecture dans leurs pays. Dans ces cas-là, nous cherchons nous-mêmes des financements, grâce au mécénat, ou à des institutions internationales : Afd, Banque mondiale... »
Un système gagnant-gagnant, les éditeurs touchant 60 % des revenus générés par la plateforme, calculés en fonction du nombre de pages consultées, ou des minutes d’écoute. YouScribe a encore bien d’autres projets, notamment des développements sur d’autres marchés importants : Maghreb, Proche-Orient, puis pourquoi pas l’Asie, l’Inde ? Enattendant, la start-up a réalisé et publié, grâce à la collaboration de tous
les acteurs de la chaîne du livre en Afrique, un « livre blanc » intitulé Etat des lieux et perspectives de l’édition en Afrique, digne du BIEF. On y trouve des témoignages, des analyses, des statistiques, des graphiques éclairants. Un catalogue des blocages inhérents au continent : problèmes de distribution, de barrières douanières entre les pays africains eux-mêmes, droits d’importation élevés, prix du livre trop onéreux par rapport au niveau de vie des populations, faiblesse du nombre de librairies, et, bien sûr, le piratage, endémique.
A la fin, le « livre blanc » formule un certain nombre de recommandations : protection des droits d’auteur, campagnes de sensibilisation, exonération fiscale pour les livres numériques, coopération tous azimuts… Lors de la présentation de l’ouvrage, plusieurs éditeurs africains présents (comme Nimba de Côte d’Ivoire, ou Saaraba, du Sénégal), ont insisté sur la nécessité de trouver des solutions locales à leurs difficultés, tandis que l’éditeurVincent Barbare, de chez Edi 8 (groupe Editis), concluait : «Le livre a un grand avenir en Afrique».